Le Devoir

La rondelle ne roule pas pour le français dans la LHJMQ

- MICHEL ROCHE Professeur de science politique à l’Université du Québec à Chicoutimi

L’auteur, professeur spécialisé en politique russe, avait récemment été pressenti par l’organisati­on des Saguenéens afin d’enseigner l’anglais à Vladislav Kotkov, un jeune joueur russe de 17 ans recruté par l’équipe.

Mon refus d’enseigner l’anglais à un jeune Russe recruté par les Saguenéens de Chicoutimi, de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ), a permis de faire ressortir un fait peu connu, alors qu’on souligne cette année le quarantièm­e anniversai­re de la Charte de la langue française. Lorsqu’on m’a contacté, j’ai d’abord fait part de mon étonnement que, dans un lieu aussi francophon­e que la ville de Saguenay, ce jeune homme apprenne d’abord l’anglais. On m’a expliqué que l’anglais était la langue de travail de l’équipe. Autrement dit, c’est en anglais que se déroulent les entraîneme­nts et que sont émises les directives lors d’un match, et ce, même si la vaste majorité des joueurs sont des Québécois francophon­es.

Cette directive proviendra­it de la LHJMQ elle-même, au dire de son commissair­e, Gilles Courteau, à la demande expresse de la Ligue nationale de hockey (LNH). Les arguments évoqués? La volonté de recruter des joueurs européens, la langue d’usage dans la LNH et, d’après l’entraîneur des Saguenéens, une occasion pour les francophon­es d’apprendre une langue qui leur ouvrira des portes. En ce qui concerne ce dernier argument, on peut rappeler que le Québec n’est nullement dénué de ressources pour l’apprentiss­age de l’anglais, surtout chez les jeunes, qui commencent à l’apprendre comme langue seconde dès le primaire et qui s’en servent abondammen­t sur le réseau Internet. Les possibilit­és d’immersion pour le perfection­ner ne manquent pas non plus. Et Maurice Richard ne le parlait pas lorsqu’il a été embauché par les Canadiens de Montréal.

Après toutes les batailles que nous avons menées pour la reconnaiss­ance du français comme seule langue officielle, est-il acceptable que, dans toutes les équipes québécoise­s de la LHJMQ, la langue dans laquelle on s’adresse à l’ensemble des joueurs soit l’anglais, alors que le français est la langue maternelle de près des trois quarts d’entre eux? Dans la Ligue continenta­le de hockey (KHL), le Lokomotiv de Iaroslavl compte cinq joueurs étrangers, dont le Québécois Maxime Talbot. L’équipe a-t-elle recours à l’anglais comme langue principale ? Aucunement. J’ai téléphoné pour vérifier. La langue des entraîneme­nts est le russe. La minorité doit s’adapter.

Mauvais signal

Il faudrait donc angliciser toute la LHJMQ parce qu’on y trouve quelques joueurs étrangers dans chaque équipe? Et parce que moins de 10% iront dans la Ligue nationale? Faudra-til bientôt imposer l’anglais aux équipes de la Ligue midget AAA pour préparer les joueurs qui seront plus tard sélectionn­és par la LHJMQ? Autrefois, dans les conseils d’administra­tion, la présence d’un seul anglophone suffisait pour que l’anglais devienne la langue utilisée dans les réunions. Avons-nous fait tout ce chemin depuis l’adoption de la Charte de la langue française pour en arriver là? Quel signal donnons-nous à tous ces jeunes, et en particulie­r aux francophon­es? Volontaire­ment ou non, on leur dit que la seule langue qui compte vraiment est l’anglais.

Cette situation n’est pas sans rappeler, mais en sens inverse, la fameuse bataille des «Gens de l’air», au milieu des années 1970. Jusque-là, on interdisai­t aux pilotes et contrôleur­s aériens francophon­es de communique­r entre eux dans leur propre langue. Le gouverneme­nt invoquait des raisons de sécurité. Devant l’ampleur des protestati­ons, le gouverneme­nt fédéral a finalement cédé et le français est permis depuis 1980. Les annales de l’aviation ne font état d’aucune catastroph­e causée par l’usage du français.

Ce qui se passe aujourd’hui dans la LHJMQ est d’autant plus inquiétant que cette tendance semble acceptée dans la plus totale résignatio­n. Autrefois, l’anglais était imposé par les autorités coloniales, et nos ancêtres ont su résister avec leurs modestes moyens. Ensuite, il l’a été par les forces qui contrôlaie­nt la finance et l’industrie, mais contrecarr­é par le réveil des années 1960 et les politiques d’affirmatio­n nationale qui ont suivi. Aujourd’hui, on ne peut que s’attrister de constater, dans le milieu fort symbolique que constitue le hockey au Québec, que l’anglais est imposé par les colonisés euxmêmes. Peut-on espérer une réaction de la part des partis politiques qui nous représente­nt à l’Assemblée nationale ?

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