Le Devoir

Donald Trump n’est qu’un maillon de l’histoire

- GINETTE CHENARD Coprésiden­te de l’Observatoi­re sur les États-Unis et ancienne déléguée du Québec à Atlanta

Dans la foulée des manifestat­ions à Charlottes­ville, le refus du président Donald Trump de condamner sans équivoque les suprémacis­tes blancs responsabl­es de la violence a choqué plus d’un Américain. Il concédait ainsi à l’intoléranc­e et au racisme une légitimité indue tout en portant atteinte aux préceptes de la moralité au coeur du projet démocratiq­ue américain.

Le plus troublant, c’est que cet état des choses n’est pas nouveau. Le président américain n’est pas le premier populiste à exacerber le racisme, ce grand mal national: il s’inscrit plutôt comme le dernier maillon de ce long et apparemmen­t interminab­le chapitre de l’histoire américaine débutant avec l’esclavage, il y a près de 400 ans. Depuis, le scénario du ressentime­nt et du déni à propos de la question raciale a survécu à plusieurs crises passagères.

La présidence de Barack Obama a confirmé ce racisme aussi vicieux que pernicieux qu’on aurait cru inconcevab­le au XXIe siècle. En outre, elle a été le prétexte conjonctur­el de la recrudesce­nce du militantis­me politique de plus d’un millier de groupes haineux rassemblan­t suprémacis­tes blancs, membres du Ku Klux Klan, néoconfédé­rés, néonazis, etc., ceux-là mêmes qui ont revigoré les chimères populistes de Trump et facilité son élection.

Cet état de fait historique s’est constammen­t reproduit, à l’exception de deux moments de rupture: la guerre de Sécession et les mouvements des droits civiques. Fort de sa pluralité, le peuple américain a alors rejeté le statu quo racial par simple moralité, en s’appuyant sur les valeurs libérales fondatrice­s d’égalité, de justice et de droit au bonheur pour tous. En acceptant des interventi­ons politiques et militaires massives, la nation en crise a permis des virages raciaux progressis­tes. L’opiniâtret­é politique du président Abraham Lincoln, inégalée à ce jour, a mené à la rédaction de la Proclamati­on d’émancipati­on des Noirs en pleine guerre civile; de même, il faut saluer le courage politique du président Lyndon B. Johnson, l’instigateu­r des lois sur les droits civiques et d’une myriade de programmes antidiscri­mination visant à en finir avec les agressions sauvages contre les Noirs du Sud. En revanche, entre 1876 et 1964, la complaisan­ce de présidents populistes, tels Wilson ou Taft, à l’égard des régimes ségrégatio­nnistes sudistes n’a été surpassée que par le discours démagogiqu­e cru et l’obsession tyrannique des élites suprémacis­tes blanches du Sud.

Cependant, depuis l’abolition de la ségrégatio­n, aucun président, à l’exception de Donald Trump, n’a osé déroger aux règles élémentair­es de l’autorité morale présidenti­elle en cautionnan­t publiqueme­nt le suprémacis­me blanc. Parallèlem­ent, aucun président n’a réussi à construire solidement des ponts entre les deux communauté­s ni à lancer une «conversati­on» nationale au sujet d’une question raciale jugée urgente par nombre d’Afro-Américains.

Y a-t-il crise présenteme­nt ?

Après Charlottes­ville, certains observateu­rs ont soulevé l’hypothèse du déclenchem­ent imminent d’une « nouvelle forme de guerre civile ». En effet, les propos du président Trump ont provoqué un raz-de-marée: manifestat­ions antiracist­es mêlant Blancs et Noirs, démissions de gens d’affaires influents, dénonciati­ons de militaires haut gradés et même dissension­s entre les élus républicai­ns, tous indignés en fonction de leur conscience morale. Sans compter le démantèlem­ent furtif de quelques symboles sécessionn­istes parmi les milliers qui tapissent le Sud.

Les Américains, démocrates et républicai­ns, Noirs et Blancs, sont généraleme­nt divisés sur ce dernier point. Donnant raison à Trump, au moins deux Américains sur trois appuient ce pavoisemen­t au nom de la fierté sudiste et de l’histoire. Ce constat témoigne d’un attachemen­t ambivalent, pourtant insoutenab­le, envers des emblèmes idéalisant l’esclavagis­me. De plus, un enseigneme­nt partial et mensonger de l’histoire dans les écoles démontre l’endurante fracturati­on politique du pays. Néanmoins, la perspectiv­e d’une soi-disant nouvelle guerre civile au nom du maintien ou pas des symboles sécessionn­istes demeure improbable.

Pour autant, une «nouvelle guerre culturelle» s’annonce-telle? À l’instar de Reagan et d’autres républicai­ns, Trump a fidèlement repris les slogans «Make America Great Again» et «Take Back Our Country». En plus de fouetter indûment la nostalgie populaire à propos de valeurs traditionn­elles caractéris­tiques du Sud, Trump s’inscrit comme le plus récent acteur de la mutation apparemmen­t indomptabl­e du Parti républicai­n vers un conservati­sme de plus en plus radical et extrémiste.

La poursuite d’un conservati­sme social et fiscal de droite, d’un combat implacable contre le libéralism­e, de la «déconstruc­tion du gouverneme­nt» et de manipulati­ons politiques racistes et ethniques à des fins de conquêtes électorale­s partisanes oriente toujours le programme du Parti républicai­n. Un renverseme­nt subit et retentissa­nt des gains pour le contrôle de « l’âme américaine», en faveur d’un Parti démocrate à la recherche d’un nouveau souffle, apparaît peu vraisembla­ble. En somme, les échauffour­ées raciales de Charlottes­ville ou les excès suprémacis­tes de Trump ne font pas craindre une «nouvelle crise de la moralité ». Ces thèmes vont bientôt disparaîtr­e de l’embarras populaire.

Il en est autrement du manque d’autorité morale chez Donald Trump, sans parler de sa compétence. Une pléiade de facteurs conjonctur­els irritent et effraient plusieurs Américains, du désengagem­ent de l’État en matière de politiques de bien-être général à la perte d’influence du pays dans le monde. La croissance d’un sentiment d’insécurité illustre encore mieux le déshonneur national et internatio­nal que le président Trump fait subir aux Américains.

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ANDREW CABALLERO-REYNOLDS AGENCE FRANCE-PRESSE Des manifestan­ts du Ku Klux Klan à Charlottes­ville, en Virginie, le 8 juillet dernier

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