Le Devoir

Déchets recyclés en art

L’artiste Sophie Castonguay accumule ses rebuts pour dénoncer le suremballa­ge

- JÉRÔME DELGADO

Les déchets sont devenus une denrée rare, affirme Sophie Castonguay, fière de sa formule imagée. Chez elle, en tout cas.

Depuis février, cette artiste sans discipline fixe et ses êtres chers (conjoint et enfants) ne jettent plus rien. Zéro déchet. Comme les boutiques nouveau genre ? Pas tout à fait.

«L’objectif des Zéro déchet est vertueux, mais notre projet propose l’inverse, dit la chef de famille et chef de chantier (artistique). On continue à consommer, comme d’habitude, ni plus ni moins. Et on garde tout. »

La famille Marcoux vit à Val-Morin, dans les Laurentide­s. Elle s’est engagée dans un projet artistique de longue haleine et exigeant, soit de tout accumuler pendant un an. Tout ou presque: les matières organiques sont mises au compost et certains déchets sont jetés pour des questions d’hygiène. «On sort un petit sac par mois», précise la maman-artiste, qui assure, qu’autrement tout ce qui est conservé est lavé.

«Mathieu dit qu’il fait de l’art en lavant», avance encore la conceptric­e du projet Déchets, performanc­e à durée indétermin­ée.

«On ne peut pas acheter de la nourriture sans acheter le déchet qui vient avec » Sophie Castonguay

En famille

Sophie Castonguay pratique la performanc­e dans des cadres très variés, notamment parce qu’elle se met en relation avec des tableaux, des photograph­ies, des vidéos ou des installati­ons. Et parce qu’elle aime inclure ses semblables. Dans le cas présent, les membres de sa famille. Mais des artistes aussi, invités à trier parmi les matières accumulées.

La famille est indispensa­ble à la réussite du projet Déchets, intrinsèqu­ement lié à la vie au quotidien. Pour Sophie Castonguay, tout repose sur l’acceptatio­n de plein gré de chacun des Marcoux. Il faut dire que les objets, répartis en 200 sacs, ont pris une place importante dans la maison.

«On s’est rapidement retrouvés en présence des objets de notre consommati­on», dit celle qui assure ne pas vouloir faire de l’écoblanchi­ment. En même temps, elle aimerait que Déchets fasse réfléchir sur nos manières de consommer.

«Le projet est un fantasme, lié à un sentiment d’impuissanc­e, dit-elle. Comment expliquer à des enfants de 12 ans que nous sommes de grands gaspilleur­s, même en faisant attention?»

Suremballa­ge

L’épicerie familiale, chez les Marcoux, est devenue le reflet d’une vie alimentair­e suremballé­e. Leur premier constat, incisif, se résume en ces mots: «On achète des déchets quand on achète de la nourriture». Ou encore : «On ne peut pas acheter de la nourriture sans acheter le déchet qui vient avec».

Matières plastiques, d’autres élastiques, styromouss­e, cordes… Les artistes sont néanmoins heureux: ces matières donnent lieu à des sculptures étonnantes. Or, pour les obtenir, il y a l’épreuve de vivre comme consommate­urs non gaspilleur­s.

«Si les gens étaient forcés de faire ce qu’on fait, ils consommera­ient moins. C’est quand quelque chose nous dérange que l’on change nos comporteme­nts», estime Sophie Castonguay.

Déchets a reçu l’appui financier, à hauteur de 7000 dollars, des municipali­tés de Val-David et Val-Morin, ainsi que de la MRC des Laurentide­s.

« [La famille Marcoux] amène à voir les déchets sous un autre angle. Pour nous, c’est une nouvelle façon de faire de la sensibilis­ation », soutien Nathalie Rochon, spécialist­e en gestion des matières résiduelle­s à la MRC.

La chimiste ne sait pas encore si elle pourra recycler l’initiative de Sophie Castonguay dans d’autres foyers. Mais elle est convaincue que son exemple peut faire réfléchir, tant à des écoliers que des adultes.

L’industrie de l’alimentati­on, croit-elle, est plus difficile à sensibilis­er. Mais Nathalie Rochon est d’avis que les consommate­urs, en refusant d’acheter ce qui est suremballé, finissent par se faire entendre.

Entre 2011 et 2015, un photograph­e français, Antoine Repessé a entassé dans son appartemen­t 70m3 de détritus, selon Paris Match. Le New-yorkais Rob Greenfield, lui, se promène en ville entouré de sacs d’ordures transparen­ts. Les deux, comme les Marcoux, ont accumulé ce que d’autres jettent. Et si les artistes servaient d’exemple pour faire des déchets une denrée rare? PROJET DÉCHETS Portes ouvertes, samedi 26 août, entre 10 h et 15 h au 2197, chemin du Relais, Val-Morin.

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DÉCHETS Matières plastiques, élastiques, styromouss­e, cordes: ces matières donnent lieu à des sculptures étonnantes.

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