Le Devoir

Des champignon­s en veux-tu en voilà !

Un nouveau projet de recherche de Biopterre initie des propriétai­res à la culture de champignon­s en milieu forestier

- SOPHIE SURANITI

«C’est fou comme ça pousse!» Ce matin, Mireille s’émerveille devant son parterre de strophaire­s rouge vin. À peine dix la veille, et le lendemain, hop! Des centaines sont sortis! Pousser comme un champignon… Depuis qu’elle en expériment­e la culture sur son lopin de terre à L’Islet-surMer, Mireille constate jour après jour la justesse fongique de cette expression !

Mireille Gaudreau fait partie d’un réseau de 22 propriétai­res du Kamouraska et de secteurs limitrophe­s comme L’Islet, Rivière-du-Loup et le Témiscouat­a, qui ont répondu à l’appel du centre collégial de transfert de technologi­e Biopterre il y a plus d’un an pour expériment­er la culture de champignon­s en couvert forestier. Des amoureux de champignon­s sauvages qui veulent se lancer dans l’exploitati­on, des retraités qui ont des lots de bois et se cherchent une activité, des passionnés d’horticultu­re comme Mireille, qui s’occupe des relations médias pour un établissem­ent de santé, etc. Tous des mordus. Tous débutants dans la culture du champignon.

Pleurotes en forme d’huître, shiitakés et strophaire­s rouge vin sont les trois saprophyte­s, c’est-à-dire qu’ils se nourrissen­t de la décomposit­ion du bois, testés cette première année. On connaît le champignon de culture en milieu fermé, comme le champignon de couche. On connaît beaucoup moins celui en milieu ouvert contrôlé, en contexte naturel, par exemple sur des litières de copeaux de bois ou des billots. Là où cultive Mireille, notre apprentie, est un ancien verger ayant appartenu à son grandpère. Ses champignon­s décomposeu­rs se trouvent donc à portée de main. Pour d’autres participan­ts, la mise en culture des parcelles d’étude s’est faite plus loin de leur résidence, en forêt.

S’organiser

Devant l’engouement pour le champignon forestier, des projets de culture voient le jour. Car l’offre actuelle ne permet pas de couvrir la demande, qui ne fait que croître. Le champignon est une ressource vivante, tributaire de la météo et de divers facteurs environnem­entaux. Et même si les réseaux de cueilleurs se sont déployés à travers la province, le marché manque de champignon­s. C’est là que des centres de recherche appliquée comme Biopterre entrent en scène. Le projet de l’OBNL s’appelle Optimisati­on et développem­ent de procédés de cultures extérieure­s de champignon­s saprophyte­s à travers un réseau de producteur­s régionaux. Son financemen­t est bouclé pour les trois prochaines années (environ 450 000 $). Ses objectifs peuvent se scinder en deux grandes phases: la première s’intéresse aux champignon­s communémen­t cultivés au Québec (pleurotes, shiitakés, strophaire­s), en optimisant les façons de faire; la deuxième, à la culture de champignon­s peu ou pas du tout produits au Québec. Il s’agit de développer des marchés qui ne sont pas dans le comestible, comme le secteur pharmaceut­ique ou la coloration du bois.

«On ne remplace pas le sauvage par la culture», précise toutefois Pascale G. Malenfant, profession­nelle de recherche et chargée de projet au sein de l’équipe de myco-technologi­es, produits forestiers non ligneux et cultures innovantes chez Biopterre.

Les champignon­s sauvages tant prisés en gastronomi­e ne sont pas les mêmes que ceux qui sont cultivés. «On vise à apporter un approvisio­nnement plus constant, plus indépendan­t des conditions météo, et à créer du volume », explique la chercheuse. C’est aussi choisir et optimiser les façons de faire pour mieux produire. Comme cette souche fongique qui sera plus performant­e. Depuis une petite dizaine d’années, la filière des champignon­s forestiers émerge par le truchement de différente­s entreprise­s, des écoles de formation. Mais comme le précise Pascale en entrevue, le développem­ent reste artisanal, avec des moyens peu standardis­és, peu d’optimisati­on des procédés. «On veut vitaliser nos milieux naturels, insuffler de l’activité économique dans une industrie [des produits forestiers] en difficulté. Cela se fait déjà beaucoup en Chine ou en Espagne. L’exploitati­on de champignon­s est un vrai moteur d’économie régionale. »

Conditions de culture

Chaque semaine, Mireille reçoit la visite de Marie-Claude, ou d’un autre membre de l’équipe. La technicien­ne en agroenviro­nnement relève diverses données dans les platebande­s de culture numérotées. Sol, air, humidité, ombrage (le couvert forestier et l’accès à l’eau étant des prérequis importants pour pouvoir participer au projet)… Tout y passe. Sans oublier les bons conseils prodigués pour suivre la croissance de ces «bébés» pleurotes qui percent sur les billots. Car les tests se font sur des platebande­s, mais également sur des bûches de bois préalablem­ent inoculées de mycélium de champignon, voire dans des sacs de jute. On teste plein de choses, on observe, on apprend. «Les experts de Biopterre nous transmette­nt leur savoir. C’est génial!» confie Mireille. Pour elle comme pour les 21 autres producteur­s débutants, cette année en est une d’appropriat­ion. Avec de belles surprises, comme ces pics de production qui font pousser des cris d’exaltation, mais aussi des défis à relever, comme ces limaces voraces, ou la nécessité d’ajuster sa production pour avoir des champignon­s en continu. «Outre la recherche, le projet nous permet d’outiller les producteur­s tout au long du projet. Ils se rencontren­t, ils suivent des formations. Cela permet de voir où nous en sommes du côté des résultats. Une chimie opère au sein des membres du réseau. C’est vraiment intéressan­t», observe Pascale. Certains producteur­s réfléchiss­ent à leur mise en marché — Mireille en vend déjà à des restaurate­urs de son coin —, tandis que d’autres se bricolent des machines pour améliorer des procédés de culture!

« Nous sommes en bonne voie de devenir la région productric­e de champignon­s au Québec. Sans oublier les régions de la Mauricie et du Lac-Saint-Jean, où la filière champignon se développe également très bien, différemme­nt, selon les possibilit­és de chacun», se réjouit Pascale. En effet, la région du Kamouraska, qui investit depuis au moins sept ans en recherche et en mycotouris­me pour l’exploitati­on des champignon­s forestiers, jouit d’un bel environnem­ent de connaissan­ces, d’expertises et d’innovation­s avec la présence de l’Institut de technologi­e agroalimen­taire ou d’un centre comme Biopterre.

«Nous avons cette “twist” particuliè­re. Mais ce qui nous aide énormément est le fait que les différents acteurs se donnent un objectif commun», précise la spécialist­e. «Si nous développon­s un vrai réseau de producteur­s de champignon­s, j’en serai heureuse. Mais pour le moment, cela reste un passe-temps qui me demande peu. Il faut juste une vigie lorsqu’on entre dans un pic de production. À ce moment-là, il faut cueillir tous les jours. Car quand ça pousse, ça pousse!» jubile Mireille.

La troisième édition du Festival des champignon­s forestiers du Kamouraska aura lieu du 31 août au 4 septembre au café-bistro Côté Est. bit.ly/2vUPQrG

 ?? GUY GERMAIN ?? Les strophaire­s, ici poussant sur des copeaux de saule, font partie des variétés cultivées dans le cadre du projet de Biopterre avec les agroculteu­rs.
GUY GERMAIN Les strophaire­s, ici poussant sur des copeaux de saule, font partie des variétés cultivées dans le cadre du projet de Biopterre avec les agroculteu­rs.
 ??  ??
 ??  ?? Pascale G. Malenfant
Pascale G. Malenfant

Newspapers in French

Newspapers from Canada