Le Devoir

L’attrait de la télé amorale

Réflexion sur l’écriture télévisée avec Joanne Arseneau, l’auteure de l’attendu Faits divers

- PHILIPPE PAPINEAU

Àl’inverse de ce que dit l’adage populaire, peut-être que le crime paie. ICI Radio-Canada plonge à nouveau dans le monde policier cet automne avec sa nouvelle série Fai ts divers, qui explore des zones «amorales», selon son auteure Joanne Arseneau, qui y voit une certaine tendance dans le monde de la télé.

Faits divers, réalisé par Stéphane Lapointe (Tout sur moi), se déroulera dans la banlieue nord de Montréal, avec comme point de départ un double meurtre. C’est la chef enquêtrice Constance Forest (Isabelle Blais) qui est envoyée sur les lieux. Autour d’elle prendra forme tout un écosystème de petits criminels, du motard au shylock en passant par le propriétai­re d’un magasin de portes et fenêtres. L’action naviguera « dans un jeu de chat et de souris entre les policiers et les criminels », dit le communiqué d’ICI Radio-Canada.

La série, qui débutera le lundi 12 septembre à 20 h, a souvent été décrite comme une espèce de Fargo, en référence au film des frères Cohen. «Je voulais faire de l’anti-CSI, dit l’auteure Joanne Arseneau, en référence à la populaire série américaine où l’on voit des policiers résoudre des crimes. Avec Faits divers, je voulais faire une série policière où les téléspecta­teurs ont plus d’informatio­ns que les policiers. Le thrill, c’est de voir comment les policiers vont réussir à coincer les criminels.»

Arseneau, qui a aussi écrit Le clan, Les rescapés et la première saison de 19-2, a aussi voulu s’inspirer du folklore criminel québécois dans sa nouvelle propositio­n. «Je n’ai pas pris des histoires telles quelles, mais ceux qui connaissen­t notre patrimoine criminel vont reconnaîtr­e des histoires.»

Faits divers mettra entre autres en scène Fabien Cloutier, Guy Nadon, David Boutin, Émile Proulx-Cloutier et Mylène Mackay.

Le méchant

Joanne Arseneau croit que le genre d’histoire qu’elle chérit trouve de plus en plus d’écho au petit écran. Elle fait référence à un livre de Vincent Collona, L’art des séries télé. L’adieu à la morale, où l’auteur expliquait qu’il y avait deux sortes de télé, celle généralist­e, davantage versée dans les happy ends, et la télé câblée, «où on explore plus l’amoralité», dit Arseneau.

«Quand on devient plus expert dans notre métier, dire» on veut aussi montrer, pas juste Joanne Arseneau

Elle évoque Dexter, Ozark, Breaking Bad, ou même L’imposteur, au Québec. Le méchant nous fascine, et la télévision le dissèque, l’analyse.

« Il y a plein de choses sur lesquelles on ne se pose plus de question, estime-t-elle aussi. On est un peu en perte de valeurs. J’avais envie de jouer avec ça. Je pense que c’est principale­ment ça, mon moteur.»

ICI Radio-Canada a beau être une chaîne généralist­e, elle est un cas à part, estime Arseneau. «Elle accepte d’explorer des contenus. C’est pas n’importe qui qui aurait fait Série noire. Je me rends compte que la raison pour laquelle Faits divers a été choisie, c’est probableme­nt parce qu’on y parle de ça, de l’amoralité. »

Aux États-Unis comme au Canada anglais, souligne Arseneau, le contenu des chaînes généralist­es reste beaucoup plus propre. L’avenir, croit-elle, fera peut-être en sorte que des contenus plus grinçants trouveront leur chemin sur les chaînes grand public.

L’enjeu budgétaire

Parmi les enjeux qui sont au coeur du travail des auteurs de télévision, Joanne Arseneau souligne que les faibles budgets des production­s atteignent un point inquiétant.

«J’ai une excellente productric­e, qui peut gérer le maximum de contenu avec le minimum de coûts, mais je trouve qu’on est proches de ne plus pouvoir faire ce qu’on a en tête, explique-t-elle. Ça frise le manque de respect.»

Les conséquenc­es sont nombreuses. Entre autres, les séries québécoise­s ont inévitable­ment un faible pour les huis clos et les dialogues.

«Moins tu as d’argent, plus le monde parle. Si tu prends Breaking Bad, tu ne peux pas l’écouter les yeux fermés, parce que tu vas manquer beaucoup de choses. Tandis que nous autres [au Québec], on doit plus dire les choses», pour des raisons budgétaire­s. Tourner une scène de discussion reste bien plus simple que tourner un moment évocateur. Ce qui peut être frustrant pour les scénariste­s. «Quand on devient plus expert dans notre métier, on veut aussi montrer, pas juste dire.»

Le téléspecta­teur, lui, est de plus en plus abreuvé de séries presque cinématogr­aphiques à grand budget, entre autres à travers les plateforme­s de diffusion sur demande comme Netflix. Arseneau trouve les créateurs québécois ingénieux, mais croit que la limite s’approche à grands pas. «Il y a plusieurs scènes complèteme­nt naturelles et habituelle­s dans des séries qui ont des budgets plus élevés que nous ne pouvons pas faire.»

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Joanne Arseneau croit que le genre d’histoires qu’elle chérit trouve de plus en plus d’écho à l’écran.

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