Rodage ou pas, on y va
L’atomisation et la multiplication des propositions s’intensifient en humour
Il fut une époque, vraiment pas si lointaine, où l’humoriste québécois étrennait ses blagues loin de la métropole et de ses carnassiers de journalistes, toujours prêts à torpiller son obligatoire rentrée montréalaise en quelques coups de gueule rapidement balancés avant l’heure de tombée.
L’année 2017 pourrait bien avoir raison de cette frontière factice séparant le spectacle dit rodé de son incarnation précédente, forcément un peu moins bien huilée. Pourquoi patienterions-nous jusqu’à la première officielle d’Yves P.
Pelletier, en janvier 2018, alors que nous le savons déjà sur scène cet automne, tout près, à Laval, Saint-Romuald, Granby ou Lavaltrie? Nous espérions depuis si longtemps le retour à l’humour du plus sensible des RBO.
Et puis, de toute façon, est-elle si majeure, la différence entre un spectacle proverbialement fignolé et une représentation coiffée du mot rodage? Non, nous répondait en juillet dernier Virginie Fortin, qui amorce elle-même fin novembre ce nécessaire travail — on a hâte. Même les diffuseurs semblent mélangés: voyez un peu comment certains d’entre eux accolent la mention «rodage» au quatrième délire scénique des Denis Drolet, En attendant le beau temps, et d’autres pas. Allez comprendre.
François Bellefeuille peut bien plaider qu’il «essaye des nouvelles affaires» — c’est le titre de son spectacle-laboratoire —, personne n’est sorti du Vieux Clocher de Magog cet été en exigeant un remboursement. Simon Leblanc n’avait pas fini la tournée de son premier solo qu’il testait déjà Malade, son successeur. Jusqu’à quel point cette proposition, qu’il peaufinera encore jusqu’en 2018, peut-elle manquer de lubrifiant? Les mots humoristes et perfectionnistes n’ont jamais autant rimé.
Des duos, des vétérans et un duo de vétérans
Parlant de Bellefeuille et de Leblanc, de plus en plus de recrues du rire s’approprient l’efficace outil marketing du double plateau, qui, en 2010, les avait si bien servis. C’est le cas de la paire formée par l’incisif Mehdi Bousaidan et le très aérien Julien Lacroix, ainsi que de celle, improbable, composée de l’exChick’n Swell Daniel Grenier et de Silvi
Tourigny. Même les vétérans des Lundis des Ha! Ha! Daniel Lemire et Pierre Verville conjugueront ensemble commentaires politiques acérés, imitations colorées et personnages vintage.
À l’exception d’Yvon Deschamps, peu d’humoristes québécois ont aussi bien caricaturé la bonhommie du raciste québécois qu’Anthony Kavanagh. Le Longueillois, de retour au pays après son exil hexagonal, pigera-t-il dans l’actualité chaude, où les préjugés ne semblent jamais s’être autant exprimés qu’au cours des dernières semaines, afin d’arrimer au contexte local Showman, d’abord créé pour la France ?
Quoi qu’il en soit, Guy Nantel s’acquittera assurément de cette tâche. Le diplômé de la Course destination monde cesse un instant de questionner le quidam sur ses connaissances générales pour mieux interroger «nos droits et libertés», titre d’un cinquième spectacle se mesurant, dit-on, aux sujets casse-gueule de la religion et de l’immigration.
Les vétérans de la relève
Les nombreuses soirées d’humour, qui pullulent partout en province, demeureront en 2017 le lieu privilégié de découvertes inattendues. Parmi les diplômés de ces précieux terrains de jeu (et d’hydratation), Guillaume Pineault permet à ceux qui ont raté pendant le Zoofest ses 90 minutes de racheter leur gaffe (à Québec, Montréal et Brossard).
Tout juste de retour de Bali, où il supervisera les galipettes de vingtenaires en goguette pendant le tournage d’Occupation double, Jay Du Temple — l’humoriste — reprend du service en décembre avec le Moyen tour, suite logique de son populaire Mini tour. Un jeune vétéran, ça se peut? Employons l’expression pour décrire Martin
Perizzolo, qui quitte enfin le lobby du monde de l’humour et amorce sa première vraie tournée québécoise.
Mais si vous n’avez qu’un comique avec qui faire connaissance cet automne, choisissez
Simon Gouache. À l’heure où de nombreux nouveaux venus de la rigolade règnent sans partage sur les réseaux sociaux avant même d’être montés sur scène, celui à qui LouisJosé Houde a confié ses premières parties rappelle, grâce à son personnage d’éternel velléitaire et à une fascinante incapacité à ne pas tout laisser sur scène, que l’humour est un art dont la maîtrise ne se mesure pas en likes.