Un homme et son américanité
Bénédiction romance le destin singulier d’un ancêtre d’Olivier Dufault dans l’Ouest américain
Le sol minéral des vallées du Nevada et de l’Utah, des mustangs éloignés de leur liberté dans des corrals, des hommes rassemblés autour d’une cantine mobile, mais, par-dessus tout, un destin singulier, celui d’un Québécois, Ernest Dufault, parti à la recherche d’une vie meilleure dans l’ouest du continent au début du siècle dernier, comme bien d’autres autour de lui.
Bénédiction (Marchand de feuilles) n’aurait pu qu’être le premier roman réussi d’un professeur de lettres de Montréal plongeant dans la vie tumultueuse d’un de ses ancêtres. Au coeur du Grand Bassin, par la petite histoire d’un homme qui fuit ses origines pour s’ancrer un peu mieux sur le continent qui lui a donné la vie, c’est finalement une grande aventure humaine qu’il relate, celle d’un peuple qui, parfois à la dure, a forgé la part américaine de son identité.
Pas banale, l’existence d’Ernest Dufault a tout ce qu’il faut pour entrer dans un roman. Parti du Québec en 1907 à l’âge de 15 ans, il s’est inventé une nouvelle identité en devenant Will James. Il a fabulé une enfance, celle d’un orphelin
« Will était bien descendu à Saco, Montana, mais il lui manquait encore beaucoup d’expérience pour être un bon cow-boy — il n’y avait pas que sa prise au lasso qui était particulièrement mauvaise. On lui gueulait continuellement dessus et, souvent, on le renvoyait en plein milieu d’un rassemblement. À quelques reprises il avait touché le fond et avait cru qu’il ne lui restait pas d’autres options que de retourner à Montréal. Il faisait cavalier seul, errait dans la prairie, en proie à une mélancolie sans nom qui ne s’améliorait pas quand il s’essayait sans succès à capturer des chevaux sauvages. » Extrait de Bénédiction
de l’Alberta sauvé par un prospecteur canadien-français, pour s’enraciner dans le monde des buckaroos, ces cow-boys originaires de la Californie, de l’Utah, du Nevada, de l’Oregon — mais pas du Texas — et trouver ainsi la reconnaissance dans le domptage des isabelles, ces jeunes chevaux au tempérament imprévisible.
Puis, à la fin de 1914, tout bascule: Dufault se fait embarquer dans le vol d’un troupeau de bétail appartenant à un baron de l’élevage qui maîtrise assez bien l’art de la politique et de la répression. Il va passer un an en prison où, pour rendre sa condition carcérale un peu plus acceptable, il va exploiter à fond ses talents de dessinateur en produisant des dessins coquins à l’intention de ces compagnons de prison et de quelques gardiens. Car Will James n’était pas qu’un cow-boy qui venait du froid. Il était aussi artiste.
En passant par des témoignages familiaux, des lettres d’Ernest envoyées à sa famille à Montréal, mais aussi des documents bien réels glanés à la bibliothèque de l’Université du Nevada à Reno, dont plusieurs relatant l’emprisonnement du jeune Américo-Québécois voleur de bétail à la prison de Carson City au Nevada, Olivier Dufault donne à cette promenade au trot dans cette année de la vie de cet ancêtre atypique les allures d’une aventure fascinante au coeur du rêve américain. Le cri d’une liberté, la quête d’une identité, la communion d’un être avec la majesté et la rigueur d’un territoire sont ici magnifiés autant par la précision du détail pour évoquer les paysages et les états d’esprit et par le verbe du jeune romancier que par l’enfermement vécu par Will James/Ernest Dufault, qui aura construit sa propre mythologie jusqu’au bout de sa vie : de cow-boy dessinateur, il est devenu par la suite romancier à succès dans l’Ouest américain, illustrateur, cascadeur au cinéma, avant de mourir à 50 ans. Ce n’est qu’après sa mort que ses proches, y compris son ex-femme, vont découvrir sa véritable identité.
BÉNÉDICTION ★★★★
Olivier Dufault Marchand de feuilles Montréal, 2017, 448 pages