Dans la littérature de l’ombre
La littérature ne se trouve pas que dans les romans. S’il est vrai que la littérature de qualité, selon la formule du critique Robert Melançon, «se signale par une sorte de tremblement du langage», force est même de conclure que bien des romans n’en sont pas ni n’en contiennent. Pourtant, constate le professeur François Dumont, «le roman est aujourd’hui le seul genre à témoigner d’une certaine présence de la littérature»
dans l’espace public. Les essais, la plupart du temps, sont traités comme de simples textes d’opinion, les carnets sont lus, au mieux, comme des textes d’accompagnement de l’oeuvre et la poésie, si elle ne devient pas chanson, a peu d’écho.
Poète et essayiste, comme son célèbre père Fernand, François Dumont note donc avec regret que «la littérature non narrative n’est jamais à l’avant-plan». Dans L’ombre du roman (Nota Bene), un exigeant recueil d’essais, il explore avec finesse ce qu’on pourrait appeler l’autre littérature, c’est-à-dire la littérature non romanesque, qui fait voir, explique-t-il, « que créer, ce n’est pas uniquement imaginer».
Dans ses essais sur des essais, des carnets et des poèmes, Dumont met en lumière que
«l’écoute, la délibération, la critique, la rhétorique, le rythme» sont, tout autant que la narration et la description, des recours privilégiés pour «l’artiste de l’écriture».
Définir l’essai
Dans son excellent Dialogue sur l’essai et la culture
(PUL, 2008), Robert Vigneault déplore que l’essai, dans une chronique comme la mienne, notamment, soit trop souvent confondu avec des études, des traités ou de simples livres d’opinion, ce que les anglophones appellent de la «non-fiction». L’essai relève de la prose d’idées, écrit-il, «mais transmuée par l’écriture». En français, pour distinguer ce dernier type d’essai des autres, de l’ensemble de la «non-fiction», on parle souvent d’«essai littéraire», une formule que Vigneault, un peu polémiste, qualifie de pléonasme, mais que je trouve juste et utile.
Définir le genre essayistique est un vrai défi. Il ne suffit pas de dire, pour fournir une définition satisfaisante, que Montaigne en est le maître et l’inspirateur moderne. Dans Approches de l’essai, une indispensable anthologie consacrée à cette discussion et que rééditent cette année les Éditions Nota bene, Dumont a réuni des essais canoniques sur la question. «Déchiré entre ses ascendances littéraires et ses aspirations à la légitimité philosophique », comme l’écrit le critique américain R. Lane Kauffmann, l’essai, ajoute Robert Vigneault, ne va pas sans «questionnement, recherche, inquiétude, inachèvement». Les textes réunis dans L’ombre du roman s’inscrivent, à l’évidence, dans le registre littéraire, tant par leur objet — ils parlent d’oeuvres littéraires — que par leur méthode — fidèle à l’esprit des définitions qui précèdent. Dans ces essais particulièrement subtils, où la thèse s’impose moins qu’elle ne ressort discrètement au gré de l’avancée d’une écriture délicate, plus exploratoire que tendue vers un objectif précis, Dumont cherche la littérature «à l’ombre du roman» et tente d’interpréter ce qu’elle nous dit d’inattendu et d’essentiel.
Écriture et vérité
Dumont propose de belles lectures des essayistes Pierre Vadeboncoeur, Neil Bissoondath, Monique LaRue et Jacques Brault. Toutefois, ce sont les carnettistes — Saint-Denys Garneau, Philippe Jaccottet, André Major — qui lui inspirent ses méditations les plus pénétrantes, notamment celle sur les Feuillets d’Hypnos, du poète et résistant René Char, dans lesquels il voit « une rencontre d’exception entre la poésie et la réalité »
brutale du temps de l’Occupation en France.
La poésie, Dumont la trouve bien sûr dans les recueils d’Anne Hébert, mais aussi dans les romans de Gabrielle Roy et dans les essais de Gilles Marcotte, où elle apparaît comme une réalité étrange, qui nous échappe, et par là nécessaire.
Parce que leur beauté et leur vérité sont dans leur écriture même, faite d’exigence et de discrétion, les essais de François Dumont résistent au résumé. Les lecteurs raffinés, qui savent que la vraie littérature se tient souvent dans l’ombre, les goûteront.
Dans deux essais subtils, François Dumont cherche le littéraire ailleurs que dans le roman