Vers la réussite éducative des élèves autochtones
Dans la foulée du dévoilement de sa Politique de la réussite éducative, le ministre québécois de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Sébastien Proulx, a annoncé le 21 juin dernier la création d’une table nationale sur la réussite éducative des élèves autochtones, jeunes et adultes. Censée entamer ses activités au cours de l’automne, cette dernière aura notamment pour mandat de concevoir des mesures destinées à accroître la réussite scolaire des Inuits et des membres des Premières Nations, en plus de faire en sorte qu’ils puissent atteindre leur plein potentiel. À l’Association des employés du Nord québécois (AENQ), on attend avec impatience le début des travaux, car «les problèmes sont criants», indique son président, Larry Imbeault. A ffiliée à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), l’AENQ est une association syndicale présente dans le Nord québécois depuis 1971. Elle regroupe le personnel enseignant et de soutien des commissions scolaires crie et Kativik, en plus des travailleurs de Centres de la petite enfance d’Eeyou Istchee et d’enseignants de deux écoles de conseils de bande attikameks.
À l’automne 2016, lors des consultations publiques tenues par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport en vue d’élaborer une première politique sur la réussite éducative, l’AENQ a recommandé au gouvernement québécois d’organiser prestement un sommet sur l’éducation en milieu autochtone afin d’établir un plan d’action concerté pour améliorer la persévérance scolaire et la réussite des élèves inuits et des Premières Nations.
Il faut savoir que, sur ce plan, les communautés autochtones font face à d’importants défis. Par rapport à l’ensemble des élèves québécois, elles présentent un écart de réussite préoccupant. En 20092010 par exemple, le taux de décrochage se situait à 85,2% dans les territoires conventionnés (commissions scolaires crie, Kativik et École Naskja), comparativement à 17,4% pour l’ensemble de la province. En outre, le taux de non-diplomation chez les Premières Nations atteignait 38% en 2011.
«Il y a plusieurs facteurs qui expliquent ça; c’est un problème qui a différentes causes», relève le président de l’AENQ.
Un amalgame de facteurs
Autant d’ordre conjoncturel que structurel, les sources de difficultés vécues par les élèves inuits et des Premières Nations sont multiples.
D’après l’AENQ, la formalité du système d’éducation imposé en contexte autochtone constitue l’un des principaux obstacles à la persévérance scolaire des élèves, car celui-ci n’est pas bien adapté à leurs besoins éducatifs. Selon elle, il ne valorise que trop peu leur identité culturelle, et cela se traduit autant dans les manuels que dans les programmes et les calendriers scolaires. Elle considère également que l’école n’accorde pas suffisamment d’importance à l’apprentissage de la langue maternelle et que certains relents des pensionnats autochtones subsistent toujours.
«S’il ne connaît pas ses origines, c’est-à-dire l’histoire de son peuple, son système de valeurs, ses coutumes et sa langue, l’élève n’arrivera jamais à une juste perception de lui-même, de ses possibilités et de tout son potentiel humain. Les cours qu’il reçoit et, en fait, toute son expérience scolaire doivent contribuer à renforcer l’image qu’il a de luimême en tant qu’autochtone. Le système scolaire actuel place les élèves autochtones dans un milieu culturel qui leur est étranger», indiquait M. Imbeault lors du dépôt du mémoire de l’AENQ à la consultation gouvernementale sur la réussite éducative.
Les problèmes socioéconomiques, la pénurie de logements et l’état lamentable de ces derniers pèsent également lourd dans la balance d’après l’Association.
« Juste au Nunavik, pour une population d’environ 12 000 personnes, il manque environ 1000 logements, souligne le président de l’AENQ. Pour un élève, c’est assez difficile d’étudier dans tout le brouhaha d’une résidence surpeuplée. Ainsi, beaucoup de jeunes évitent la maison et traînent dans les rues jusqu’à tard le soir. Le lendemain, ils n’ont pas envie d’aller à l’école. Il y en a aussi plusieurs qui ont des problèmes de consommation, que ce soit avec la drogue ou l’alcool. Parfois, ce sont des membres de leur famille qui ont ces problèmes, qui se répercutent sur eux: violence, manque d’encadrement, de discipline, etc. »
Par ailleurs, l’Association juge que l’insuffisance de services en éducation dans les communautés contribue au décrochage scolaire, car le fait de devoir s’expatrier pour mener des études postsecondaires ou en formation professionnelle en décourage plusieurs.
L’AENQ estime également que le sous-financement des ser vices dans les réser ves engendre d’importantes conséquences sur la réussite des élèves. À ce sujet, il faut spécifier que le financement de l’éducation dans les réserves autochtones est assuré par le ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, mais que ce dernier ne couvre pas le transport des élèves, ni le coût d’entretien des écoles, les changements technologiques, les bibliothèques scolaires, les régimes d’avantages sociaux du personnel de l’éducation et les activités parascolaires et de loisirs.
«Mais il n’y a pas que le problème de sous-financement, il y a aussi un manque important de ressources humaines, notamment au niveau du personnel de soutien spécialisé, remarque M. Imbeault. Que ce soit dans les réserves ou ailleurs au Nord, les jeunes sont beaucoup laissés à eux-mêmes et plusieurs tragédies se produisent chaque année. Le taux de suicide est élevé. Il faut vraiment plus de ressources. Le problème n’est pas réservé au système scolaire, mais est présent dans les communautés en général. Il y a un manque criant de ressources au niveau de l’aide psychologique. »
À cela s’ajoute le taux de roulement élevé du personnel enseignant. Aux yeux de l’AENQ, il s’avère problématique, car il fragilise la confiance des élèves autochtones et limite leur engagement scolaire.
Une initiative attendue
Consciente qu’il y a énormément à faire, l’Association fonde tout de même de larges espoirs dans la création de la table nationale sur la réussite éducative des élèves autochtones.
«L’écart de réussite éducative, c’est un problème qui dure depuis trop longtemps, souligne M. Imbeault. C’est pour ça qu’on a recommandé au gouvernement de créer un sommet sur l’éducation en milieu autochtone et qu’on est heureux qu’il ait décidé de créer une table nationale. Ça va être l’occasion de s’asseoir une fois pour toutes pour trouver des solutions, pour se fixer des buts et de prendre les moyens pour les atteindre. Ça fait des années qu’on attend des actions concrètes; on espère que la table va donner des résultats. »
« Le système scolaire actuel place les élèves autochtones dans un milieu culturel qui leur est étranger»