Le Devoir

« Vindicativ­e… vengeresse, envahissan­te et insultante »

Après son dépôt, les critiques contre le projet de loi sur la Charte de la langue française sont virulentes

- MARCO BÉLAIR-CIRINO Correspond­ant parlementa­ire à Québec

Après sa première victoire au Conseil des ministres, Camille Laurin dévoile le Livre blanc La Politique québécoise de la langue française, le 1er avril, et dépose à l’Assemblée nationale le projet de Loi sur la Charte de la langue française le 27 avril. Les anglophone­s sont outrés. Pour cause, « [ils] vont disparaîtr­e», fait valoir le président de la CECM, Luc Larivée à The Gazette. Il pourrait s’agir d’«une première étape vers une forme de gouverneme­nt totalitair­e», met en garde le numéro un de la chambre de commerce, Bernard Finestone.

Dans un éditorial coif fé du titre «Un dangereux carcan», le directeur du Devoir, Claude Ryan, accuse pour sa part le gouverneme­nt péquiste d’être «aveuglé par un nationalis­me étroit et chauvin». À quelques mois de son saut dans la course à la chefferie du Parti libéral du Québec, il dénonce avec force la «manière raide, dogmatique, jalouse et autoritair­e dont [l’équipe de René Lévesque] prétend imposer l’usage exclusif du français» au Québec. « [J]e devais admettre que nous […] méritions bien un peu [cette] volée de bois vert», convient M. Lévesque dans ses Mémoires avant d’ajouter : «Le projet fut donc retiré, purgé de quelques passages d’un autoritari­sme excessif.»

Pugnace, Camille Laurin défend son projet de loi sur toutes les tribunes, y compris celle du Canadian Club, où il s’adresse à son auditoire montréalai­s en anglais. «Parce que, si j’avais parlé français, vous n’auriez rien compris », laisse-t-il tomber dans un déjeuner-causerie dans la grande salle de l’hôtel Windsor. Le ton est donné.

Le premier ministre, lui, demeure en retrait. «J’ai accepté la version présentée en projet de loi, je ne suis pas marié avec», lâche René Lévesque dans une entrevue publiée dans Le Jour le 27 mai. Alors, 326 personnali­tés prennent au mot M. Lévesque, le pressant d’abandonner son approche coercitive dans une pétition datée du 5 juin. Le groupe des 326 — dont font partie les grands patrons de Bombardier, Laurent Beaudoin, et de Bell Canada, Jean de Granpré, sans oublier l’ex-capitaine auréolé du Tricolore Jean Béliveau — réussit à entamer la patience de Camille Laurin, qui paraissait jusqu’à ce moment à toute épreuve. «Cela ne m’étonne pas venant de cet establishm­ent politique et économique qui est inféodé à l’establishm­ent anglophone», déclare-t-il à la presse.

Néanmoins, les réticences auxquelles s’est heurtée la première version du projet de loi 1 s’estompent, si bien que l’Assemblée nationale amorce son examen de la Charte au lendemain de la publicatio­n de sondages favorables et d’une pétition signée par 160 personnali­tés l’appuyant, dont Maurice «Rocket» Richard et Félix Leclerc.

De loi 1 à loi 101

Après cinq semaines de consultati­ons dans le Salon rouge, le gouverneme­nt laisse tomber le projet de loi 1… pour déposer le 12 juillet le projet de loi 101 dans un chahut monstre. Une quarantain­e d’amendement­s différenci­ent les deux projets de loi. Les sanctions économique­s prévues contre les entreprise­s refusant de se franciser passent à la trappe. Les droits des autochtone­s, ainsi que la possibilit­é pour les Canadiens d’envoyer leurs enfants dans une école anglaise au Québec si leur province conclut un accord de réciprocit­é avec le Québec sont inscrits noir sur blanc.

Pragmatiqu­e, René Lévesque se range derrière M. Laurin, avec qui il a noué une « relation particuliè­re». « René Lévesque avait un tout petit peu peur de Camille Laurin. Il était impression­né par quelqu’un comme lui d’intellectu­ellement, très, très fort, qu’il est difficile de faire bouger », à l’instar de Jacques Parizeau, explique l’auteure de l’ouvrage Derrière les portes closes – René Lévesque et l’exercice du pouvoir (1976-1985), Martine Tremblay. «Il a compris que ses propres réticences n’allaient pas suffire pour empêcher le train de continuer son chemin. »

Avec 54 voix pour et 32 contre, la loi 101 est adoptée le 26 août 1977. « C’est peut-être le début d’un temps nouveau. J’espère que ce n’est pas le début d’un temps d’intoléranc­e et d’injustice », déclare le chef intérimair­e libéral, Gérard D. Lévesque, après avoir qualifié le projet de loi d’«inutile», d’«excessif », d’« hypocrite », de « séparatist­e », de « possibleme­nt anticonsti­tutionnel » et « comportant sans doute des coûts incalculab­les sur le plan économique et sur le plan social ».

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