Le Devoir

Une loi révolution­naire

La loi 101 a été la première à protéger un droit collectif, soutient le juriste Michael N. Bergman

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Quelle est l’importance de la Charte de la langue française? Michael N. Bergman, éminent avocat québécois, pose luimême la question et y répond franchemen­t : à son avis, il s’agit de la législatio­n la plus importante de l’histoire du pays.

«C’est la plus grande loi au Québec et au Canada, la plus importante loi dans l’histoire du Canada», a-t-il dit en commençant sa conférence prononcée au colloque Les 40 ans de la loi 101. La Charte de la langue française et les communauté­s québécoise­s d’expression anglaise (1977-2017), en mai, à l’Université McGill, dans le cadre du congrès annuel de l’Acfas.

La déclaratio­n a évidemment fait son effet.

Mais pourquoi accorder cette importance à la loi linguistiq­ue? Le conférenci­er a également posé cette question et y a répondu avec tout autant de punch, dans son français irréprocha­ble.

«Est-ce parce que la Charte réglait les questions linguistiq­ues? Est-ce parce que la Charte imposait des droits et des devoirs linguistiq­ues? Peut-être. Mais il y a autre chose. Au soutien de la Charte se retrouvent des concepts juridiques très importants et inconnus auparavant au Canada et au Québec. La Charte introduit le concept des droits de la collectivi­té contre les droits individuel­s et les libertés des individus.»

Voilà donc où loge le noeud de la révolution juridique. Dans la tradition anglo-canado-américaine, a rappelé Me Bergman, il n’existe pas vraiment une telle chose comme les droits de la collectivi­té. Enfin, si, quand il s’agit de se protéger contre une menace extérieure, face à des ennemis belliqueux ou des espions malfaisant­s par exemple. Seulement, à l’intérieur des frontières d’un pays démocratiq­ue, il n’existe pas de collectivi­tés avec des droits et surtout pas des droits collectifs supérieurs aux droits des individus.

«La Charte de la langue française n’est pas une charte des libertés des individus. Elle ne parle pas des citoyens. Elle parle de l’ensemble des Québécois. »

Un gars de Québec

Sa propre famille se rattache à cette collectivi­té depuis le XIXe siècle. Michael Bergman est né dans la ville de Québec où ses grandspare­nts ont émigré de l’Empire austro-hongrois en 1894. « Pour comprendre un système juridique, il faut en maîtriser la langue, dit-il. Il faut donc devenir un aficionado de Molière et de Shakespear­e. »

Civiliste renommé, diplômé de l’Université McGill, il a plaidé jusqu’en Cour suprême, dans les deux langues officielle­s. Me Bergman a fondé la clinique d’aide juridique de son alma mater, et il en est membre honoraire. Son cabinet, Bergman & Associates, a une antenne à New York.

Il a été admis au Barreau du Québec en 1977, l’année de la Charte. Il se rappelle très bien le choc produit par cette révolution dans sa profession. « Ç’a été un bouleverse­ment du monde juridique, confie-t-il en entrevue téléphoniq­ue. La Charte exigeait que le français devienne la langue de la justice. Après un certain temps, la Cour suprême a rendu cette dispositio­n inopérante et inconstitu­tionnelle. Je commençais ma pratique à l’époque et j’avais un paquet de clients anglophone­s. Le Québec de l’époque n’était pas le Québec d’aujourd’hui. Il y avait deux groupes distincts, chacun ne parlant pas la langue de l’autre. Il faut avoir un certain âge pour se rappeler les controvers­es sur la grosse Anglaise, vendeuse chez Eaton…»

Les n’importe-quoi-phones

À l’époque, le gouverneme­nt nationalis­te veut faire de la loi 101 la pierre d’assise de la future Constituti­on du Québec, mais aussi un outil de promotion des francophon­es, citoyens de deuxième classe dans leur propre coin du monde, surtout à Montréal.

«La Charte veut protéger, promouvoir, préserver et concevoir l’identité des Québécois, telle qu’elle est exprimée par la langue et la culture depuis la Nouvelle-France, à l’encontre des minorités linguistiq­ues, les “têtes carrées”, comme je le dis toujours, les anglophone­s, les allophones, les n’importe-quoiphones, poursuit le juriste. La Charte crée une obligation de communique­r en français dans les entreprise­s ou dans les rapports officiels. Cette obligation découle des droits de la collectivi­té. D’un point de vue juridique, je le répète, c’est fondamenta­l. »

Reste à comprendre l’origine sociopolit­ique de cette révolution copernicie­nne. On est évidemment tenté de la lier à une conception française et républicai­ne de la vie en commun. Me Bergman accepte en partie ce rapport, tout en soulignant que le Québec n’est pas la France.

« Notre situation est assez unique à cause de l’histoire de notre collectivi­té. La sagesse québécoise a réussi à régler un problème très difficile avec une loi fondamenta­le. Nonobstant les critiques, même si je crois que la Charte pourrait être plus souple à certains égards, par exemple dans la langue d’affichage, elle est la clé de notre société contempora­ine québécoise. »

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PEDRO RUIZ LE DEVOIR «La Charte de la langue française n’est pas une charte des libertés des individus. Elle ne parle pas des citoyens. Elle parle de l’ensemble des Québécois», soutient l’avocat Michael N. Bergman.

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