Interprétation défavorable
Les lois doivent aussi se soumettre aux lois. La Charte de la langue française a donc subi l’épreuve des tribunaux de tous ordres depuis quatre décennies. Le juriste de l’Université Laval Éric Poirier a analysé vingt-sept jugements des cours supérieures pour comprendre comment le cadre législatif canadien a interprété cette loi québécoise fondamentale en particulier. Son analyse a été publiée en 2016 dans La Charte de la langue française. Ce qu’il reste de la loi 101 quarante ans après son adoption (Septentrion). Les tribunaux ont généralement favorisé les interprétations donnant le moins de place au français, dans presque huit jugements sur dix, 78 % des cas en fait. Ce fait est le plus souvent expliqué par différents facteurs, comme la préférence accordée aux droits individuels dans notre société, des résistances institutionnelles face à une loi révolutionnaire, une lutte idéologique fédérale-provinciale ou le choc des traditions civilistes et de common law. Le professeur Poirier propose une autre explication. En se basant sur la philosophie du droit de Ronald Dworkin (1931-2013), il postule que les juges interprètent la loi en fonction des grands principes structurant le législatif. Ces grands principes concernent la liberté contractuelle, la liberté d’expression, le droit de gérance des employeurs, l’intérêt supérieur de l’enfant, etc. « Par exemple, la loi 101 peut vouloir imposer le français dans [un contrat], mais si les parties étaient d’accord pour signer ce contrat [rédigé en anglais], l’interprétation doit se faire en vertu du principe de liberté contractuelle, a dit le professeur Poirier au colloque sur la loi 101 de l’Acfas en juin. Ce qui explique les 78% par rapport à 22%, à la lumière de mon échantillon. Comme il n’y a pas de principe du droit qui soutienne la règle du français prévue dans la loi 101, plein d’autres principes viennent favoriser des interprétations défavorables au français. […] L’intention des concepteurs de la loi 101 semble avoir été déjouée par l’interprétation que font les tribunaux.»