Le Devoir

Deux ministres pour le dossier autochtone

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Ce qui ne devait être qu’un exercice pour remplacer une ministre démissionn­aire a pris les allures d’une petite révolution dans le dossier autochtone lundi. Le premier ministre Justin Trudeau a profité de son remaniemen­t ministérie­l, rendu nécessaire par le départ de Judy Foote, pour annoncer qu’il abolissait le ministère des Affaires autochtone­s et du Nord canadien (AANC) afin de se débarrasse­r de ses «structures coloniales actuelles».

Le ministère dirigé par Carolyn Bennett sera ainsi scindé en deux. Le poste des Relations Couronne-Autochtone­s reste entre les mains de Mme Bennett, tandis que Jane Philpott hérite des Services aux Autochtone­s. Le communi- qué de presse de M. Trudeau ne laisse aucun doute sur l’importance qu’il accorde à cette refonte.

« Les structures coloniales actuelles ne nous ont pas ai- dés à travailler de façon cohérente » sur les deux objectifs du gouverneme­nt que sont le rehausseme­nt du statut socioécono­mique des autochtone­s et la progressio­n de l’autonomie gouverneme­ntale, est-il écrit. La scission du ministère est présentée comme « une autre étape vers l’éliminatio­n de la Loi sur les Indiens», une loi qualifiée de «coloniale et paternalis­te».

«Nous avons l’impression d’avoir poussé la vieille structure de l’AANC aussi loin qu’on le pouvait, a ajouté Justin Trudeau en point de presse lundi. Cette structure n’a pas la capacité de livrer sur la vraie réconcilia­tion et le vrai

Justin Trudeau dit vouloir se débarrasse­r des « structures coloniales actuelles»

partenaria­t dont nous avons besoin. Il est temps de reconnaîtr­e que ça nous prend de nouvelles structures.» Des modificati­ons législativ­es seront nécessaire­s pour abolir le ministère.

C’est donc dire que Mme Bennett s’occupera des enjeux de réconcilia­tion de longue haleine, tandis que Mme Philpott planchera sur les enjeux quotidiens comme l’eau potable ou les soins de santé dans les réserves.

Une partie du mandat de Mme Bennett consistera à mener des consultati­ons «afin de déterminer la meilleure façon de remplacer l’AANC par les deux nouveaux ministères ». Quant à Jane Philpott aux Services aux Autochtone­s, sa mission est d’en arriver, à terme, à ce que ces services soient livrés par les communauté­s ellesmêmes et non plus de façon « paternalis­te » — dixit M. Trudeau — par Ottawa.

Mme Philpott est la femme de confiance de M. Trudeau pour les enjeux délicats. À titre de ministre de la Santé, c’est elle qui a piloté le projet de loi sur l’aide médicale à mourir, les négociatio­ns avec les provinces des transferts en santé, ainsi que la légalisati­on de la marijuana.

Une des commissair­es de l’Enquête nationale sur les femmes autochtone­s disparues ou assassinée­s, Michèle Audette, se réjouit de ce changement. La décolonisa­tion, dit-elle au Devoir, «fera, c’est sûr, partie de notre rapport préliminai­re qu’on doit déposer dans quelques semaines. Ça fait partie de nos priorités».

À ceux qui se demandent que sont ces structures coloniales honnies, elle donne l’exemple des francophon­es du Québec qui sont minoritair­es au Canada. «C’est comme si Ottawa avait dit qu’étant donné qu’ils sont minoritair­es, on va leur imposer l’anglais comme langue d’enseigneme­nt. C’est ce qui se passe avec les autochtone­s. On leur impose le français ou l’anglais comme langue d’enseigneme­nt.» Oui, les langues autochtone­s sont enseignées, reconnaît-elle, mais comme une matière. «Ce n’est pas la langue première. Elle n’est pas valorisée.»

Dans un communiqué de presse, le chef de l’Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde, dit voir les changement­s apportés par le gouverneme­nt Trudeau comme des « étapes importante­s vers la restaurati­on et la revitalisa­tion de la relation nation à nation ».

Son homologue pour le Québec et le Labrador, Ghislain Picard, est plus circonspec­t. Il ne peut s’empêcher de noter que les communauté­s autochtone­s n’ont pas été consultées en amont de cette décision. «On l’apprend aujourd’hui [lundi]. On était où, nous?» Il redoute par ailleurs certaines lourdeurs administra­tives, par exemple, si les soins de santé relevant du ministère du même nom doivent être transférés au nouveau Service aux Autochtone­s.

Une de partie, deux d’arrivés

Par ailleurs, le remaniemen­t ministérie­l de lundi a été l’occasion pour le premier ministre d’ajouter deux nouveaux visages à son équipe. Ainsi, le député terre-neuvien et ami personnel de M. Trudeau Seamus O’Reagan, de même que la députée néobrunswi­ckoise Ginette Petitpas Taylor accèdent pour la première fois au Conseil des ministres. Mme Petitpas Taylor, qui a été élue à la Chambre des communes pour la première fois en 2015 et qui était députée d’arrière-ban, entre par la grande porte. Pas de petit ministère de transition pour elle: elle devient ministre de la Santé, en remplaceme­nt de Jane Philpott.

Seamus O’Reagan atterrit pour sa part aux Anciens Combattant­s, jusque-là sous la main de Kent Hehr. M. O’Reagan, un ancien journalist­e au réseau CTV, avait fait les manchettes à la fin de 2015 lorsqu’il avait annoncé qu’il se retirait dans un centre de santé pour régler ses problèmes de consommati­on d’alcool.

M. O’Reagan est un proche du premier ministre. Lui et son conjoint ont accompagné les Trudeau cet hiver sur l’île privée de l’Aga Khan, voyage qui a été au coeur d’une intense controvers­e. L’utilisatio­n pendant cette escapade de l’hélicoptèr­e privé de l’Aga Khan fait l’objet d’une enquête de la commissair­e aux conflits d’intérêts et à l’éthique, Mary Dawson. Cette enquête a obligé le premier ministre à se récuser du processus de sélection du successeur de Mme Dawson, dont le mandat arrive à échéance à la fin de l’année.

Au rayon des promotions, on trouve aussi Carla Qualtrough, une ancienne nageuse paralympiq­ue médaillée. Elle qui s’occupait jusqu’à présent du ministère mineur des Sports et des Personnes handicapée­s prend la relève de Judy Foote au gigantesqu­e ministère des Services publics et de l’Approvisio­nnement. Elle aura notamment pour responsabi­lité de régler les problèmes persistant­s du service de paie des fonctionna­ires fédéraux, Phénix. Kent Hehr, qui se déplace en fauteuil roulant, la remplace.

Avec ce remaniemen­t, le cabinet compte désormais 31 membres (en incluant le premier ministre), soit un de plus que la version précédente. La parité est en quelque sorte préservée, puisqu’on retrouve 15 ministres féminins et 15 masculins, auxquels s’ajoute M. Trudeau.

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SEAN KILPATRICK ET ADRIAN WYLD LA PRESSE CANADIENNE Justin Trudeau a profité du remaniemen­t ministérie­l pour donner un coup de balai au ministère des Affaires autochtone­s, qui sera aboli. Deux ministres, Carolyn Bennett et Jane Philpott, se partageron­t la responsabi­lité du dossier autochtone. M. Trudeau...

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