Le double défi des collégiens des Premières Nations
Le Collège John Abbott aide les autochtones à étudier dans une langue seconde, loin de chez eux
Il existe davantage de structures d’accueil pour les étudiants étrangers que pour les étudiants autochtones dans la plupart des cégeps et universités du Québec. Toutefois, certains établissements se démarquent. C’est le cas à John Abbott, le cégep anglophone de l’ouest de l’île de Montréal, où, depuis 30 ans, les étudiants autochtones reçoivent des services sur mesure.
Il y a cinq ans, Amanda Mayappo, 24 ans, faisait les neuf heures de route de voiture entre Waswanipi et Montréal, le coeur serré.
Cet automne-là, elle passait le pas de la porte du cégep John-Abbott pour commencer un programme en Creative arts, Literature and Languages. «Je ne cessais de me répéter que je n’y arriverais pas » ,se souvient-elle.
Seule étudiante de sa cohorte à venir de Waswanipi, tout devant elle l’intimidait. «Je suis entrée dans la classe très effrayée. Je me suis assise au premier rang, personne ne me regardait. Et je me suis mise à pleurer!»
Le temps a passé depuis cet épisode. En juin dernier, Amanda Mayappo recevait son diplôme. Qu’est-ce qui a aidé son parcours? L’Indigenous Student Resource Centre du cégep et ses ressources intégrées.
John Abbott a été l’un de premiers cégeps à offrir des services adaptés aux étudiants autochtones. En septembre 1990, lorsqu’est arrivé le premier groupe d’étudiants autochtones, les professeurs se sont rendu compte des lacunes du cursus scolaire qu’ils offraient. Cette clientèle se heurtait à des défis auxquels ne font pas face les étudiants non autochtones.
Une convergence de vulnérabilités, disent les experts. Comme ce qu’a vécu Amanda Mayappo.
La jeune femme se souvient de sa première semaine de cours comme si c’était hier. Elle ne cessait d’appeler sa mère, restée à Waswanipi à 820km, pour lui dire qu’elle allait échouer.
«Quand un professeur me donnait un devoir, je n’avais aucune idée quoi faire! L’anglais n’est pas ma première langue. Les mots étaient parfois trop compliqués pour les comprendre », dit celle dont la langue maternelle est le cri.
En arrivant à Montréal, elle s’est aussi sentie minuscule : «C’était complètement fou, j’avais peur! La population dans mon village est de 2000 personnes, alors qu’au cégep, il y a 6000 étudiants. Je ne connaissais personne.»
Comme une touriste dans son propre pays, elle a aussi appris ce que les urbains tiennent pour acquis: se servir du train, lire les cartes du métro, louer un appartement, verrouiller ses portes…
Soutien du coeur et de l’esprit
Pour répondre à ces réalités spécifiques, communes à la plupart des étudiants autochtones, les structures d’accueil de John Abbott se déploient en différents volets.
À leur arrivée à l’école en septembre, les étudiants autochtones ont accès à un lieu de rassemblement. « Pour se réunir, se sentir en sécurité et se ressourcer », explique Louise Legault, coordonnatrice de l’Indigenous Student Resource Centre du cégep.
En effet, comme l’a vécu Amanda, certains arrivent à John Abbott sans connaître un seul collègue de classe, alors que l’école a la taille d’une ville.
Les étudiants peuvent aussi assister à des ateliers pour les aider dans leur parcours académique. Par exemple, comment prendre des notes, comment organiser un horaire, etc.
Grâce au centre, Amanda Mayappo a rencontré d’autres nations et participé à des activités culturelles — confectionner un capteur de rêves, par
exemple — qui lui rappelaient un peu chez elle… et surtout lui permettaient de communiquer dans sa langue maternelle. Un soulagement quand on passe sa journée à se casser la tête avec des devoirs.
Elle a aussi été aidée personnellement par le conseiller pédagogique auprès des étudiants autochtones, Michael O’Connor, maintenant retraité, qui lui traduisait certains mots de l’anglais vers le cri.
John Abbott s’est doté d’une mission double, explique Louise Legault: soutenir socialement les étudiants autochtones, mais aussi éduquer la population non
autochtone. «L’un ne va pas sans l’autre, insiste à plusieurs reprises Louise Legault. Si on ne fait que de la pédagogie auprès des autochtones, ça ne fait pas évoluer les mentalités. Ce n’est qu’un band-aid.»
L’éducation aux non-autochtones, elle, prend donc la forme d’ateliers de sensibilisation, de conférences sur la réalité autochtone, ainsi que de plus en plus de possibilités de cours sur l’histoire et les enjeux liés aux Premières nations.
Persévérance scolaire
La philosophie derrière ces structures d’accueil? Une fois que tous les obstacles de la vie quotidienne ont été surmontés, les étudiants sont plus disposés à réussir leur diplôme, explique Louise Legault.
Parce que les chiffres sont parlants. Selon Statistique Canada, un peu moins de la moitié de la population autochtone (tous âges confondus) avait obtenu un diplôme postsecondaire en 2011, contre 65% chez la population non autochtone.
Un point encourageant, toutefois: les jeunes autochtones sont plus éduqués que leurs parents. Une donnée qui s’explique bien, estime Louise Thibault. «Les pensionnats ont donné une vue négative sur l’éducation. Les étudiants qu’on voit à John Abbott sont la première génération à aller à l’école postsecondaire et à persévérer.»
Comme l’a fait Amanda Mayappo, qui a obtenu son diplôme en juin 2017 avec 12 autres étudiants autochtones. Certains d’entre eux étaient présents lors d’une cérémonie of ficielle.
Pour Louise Legault, qui travaille au centre depuis 2007, la progression de la diplomation est encourageante. « Il y a 10 ans, s’il y avait une ou deux personnes qui terminaient, c’était beau!» Mais aujourd’hui, autochtone ou pas, le taux de réussite est le même, une statistique dont elle est fière.