Le Devoir

Mieux enseigner l’anglais, mais aussi le français

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Selon les résultats d’un sondage publié dans nos pages samedi, une majorité de Québécois francophon­es voudrait qu’on permette un accès plus facile à l’école anglaise. Or, l’interdicti­on faite aux enfants francophon­es et allophones de fréquenter l’école anglaise est un des fondements de la loi 101. Si un retour au libre-choix est impensable, il faut cependant voir dans ce résultat la volonté de nombreux parents de s’assurer que leurs enfants maîtrisent l’anglais, un voeu auquel l’État doit répondre.

La lecture du sondage Léger sur la Charte de la langue française (CLF) laisse perplexe. Ainsi, 53% des francophon­es souhaitent un accès plus facile à l’école anglaise tant au primaire qu’au secondaire. Or, paradoxale­ment, une majorité des francophon­es (57%) croit que la Charte, d’une façon générale, doit être renforcée, une proportion qui grimpe à 63% pour la langue de travail et à 62% pour l’affichage commercial. Le sociologue Simon Langlois, qui a commenté le sondage dans Le Devoir, a raison : ce plus grand accès souhaité à l’école anglaise témoigne d’«une réelle volonté des francophon­es de mieux apprendre l’anglais ». Depuis l’adoption de la loi 101 en 1977, le rapport des Québécois francophon­es à l’égard de la langue anglaise a profondéme­nt changé. À l’époque, l’anglais, c’était la langue du conquérant, de l’oppresseur, de l’élite économique canadienne. C’est une langue que « les génération­s précédente­s s’étaient appliquées à apprendre le plus mal possible», pour citer Michel David.

Aujourd’hui, l’anglais, c’est la langue de la mondialisa­tion, la langue des sciences — bien qu’on puisse déplorer l’usage de plus en plus répandu de l’anglais par les chercheurs francophon­es en sciences humaines —, souvent la langue qui s’impose pour ceux qui se destinent à travailler à l’étranger. Déjà, en 2008, dans une étude sur la perception des jeunes à l’égard du français et de l’anglais, le Conseil supérieur de la langue française (CSLF) constatait que les jeunes francophon­es estimaient qu’utiliser l’anglais au travail ne menaçait pas leur identité ; sa maîtrise leur permettait d’arriver à leurs fins, de communique­r plus efficaceme­nt avec les autres et d’augmenter leurs chances d’emploi.

Rappelons également qu’en 2001, la Commission sur la situation et l’avenir de la langue française, présidée par Gérald Larose, déplorait la piètre qualité de l’enseigneme­nt de l’anglais (et du français, langue première, d’ailleurs) et recommanda­it de l’améliorer en prévoyant à la fin du primaire et du secondaire des sessions intensives d’anglais.

Il faut certes dénoncer le bilinguism­e institutio­nnel. Il faut aussi s’opposer à l’exigence, systématiq­ue et non nécessaire, de la connaissan­ce de l’anglais qu’un trop grand nombre d’employeurs imposent à l’embauche, un phénomène, contraire à la loi 101, que le gouverneme­nt Couillard refuse d’endiguer.

Mais il faut également favoriser le bilinguism­e individuel des Québécois. Ne soyons pas hypocrites: parmi les francophon­es, les classes instruites s’assurent que leur progénitur­e sait l’anglais, souvent en palliant les lacunes scolaires avec des camps d’anglais ou des voyages formateurs qu’ils paient de leurs poches. Il faut que tous les enfants québécois puissent parfaire leur langue seconde ou même la connaissan­ce d’une troisième langue. C’est une question d’égalité des chances.

Mais, paradoxale­ment, cela passe par une nette améliorati­on de l’enseigneme­nt du français, un enseigneme­nt qui doit dépasser le pauvre apprentiss­age utilitaris­te. D’abord, parce que quelqu’un qui connaît bien sa langue apprend mieux une langue seconde. Mais aussi parce qu’il en va de la valeur que nous devons naturellem­ent accorder à la langue qui nous définit.

Un reportage sur les enfants de la loi 101, diffusé la semaine dernière sur les ondes de Radio-Canada, montrait qu’ils n’avaient pas été exposés à la culture québécoise à l’école: ils ne savaient pas qui était Michel Tremblay; ils n’avaient pas lu un seul roman québécois durant leurs cours au secondaire. Or la langue est affaire de culture et l’enseigneme­nt du français doit reposer sur de grands textes français et québécois, et non pas sur des traduction­s de l’anglais comme c’est malheureus­ement souvent le cas; il doit être axé sur la littératur­e, le théâtre, la chanson. Il existe une telle chose que la beauté de la langue, et c’est ce qu’il faut transmettr­e pour faire de l’enseigneme­nt du français quelque chose de vivant et de ludique.

On parle beaucoup au Québec de la protection du français, mais c’est de la vitalité et de la richesse de notre culture que nous devrions nous soucier, surtout à l’école.

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ROBERT DUTRISAC

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