Le Devoir

Immigrants : le « Nous » québécois

- MURIELLE CHATELIER

Dans le grand reportage Les Québécois de la loi 101 réalisé par deux journalist­es de Radio-Canada et diffusé la semaine dernière sur RDI, ces derniers se disent surpris d’apprendre que les jeunes issus de l’immigratio­n ne s’identifien­t pas à la culture québécoise. Dans une de ses nombreuses envolées sur les enjeux de l’immigratio­n, le chroniqueu­r Mathieu Bock-Côté a déjà écrit : « La vocation des immigrants n’est pas de se perpétuer comme “communauté­s”, mais de se fondre dans la société d’accueil, tout simplement, d’en prendre le pli identitair­e, de dire Nous avec elle.» Mais la société québécoise est-elle prête à dire « Nous » avec les immigrants ?

Dans mon quotidien, je suis entourée de citoyens d’origines diverses, dont la plupart sont nés ici, comme moi. Quand je leur demande s’ils se considèren­t comme des Québécois, ils me répondent la plupart du temps: «Es-tu folle, toi? Si je dis que je suis Québécois, on va me rire dans la face. » J’ai expériment­é la chose, et c’est vrai que lorsque j’affirme que je suis une Québécoise avec ma peau d’ébène et mon accent teinté de celui de mes parents, mes interlocut­eurs sourcillen­t. Mais cela m’empêche-t-il de me définir comme je l’entends ? Non.

Savoir prendre sa place

Le 1er décembre 1955, dans la ville de Montgomery, aux États-Unis, une couturière du nom de Rosa Parks a changé le cours de l’histoire en sachant se tenir debout. Au risque d’être emprisonné­e, cette femme au teint foncé a refusé de céder son siège dans un autobus à un « Blanc ». Son geste a été l’élément déclencheu­r du Mouvement des droits civiques et de l’abolition de la ségrégatio­n raciale chez nos voisins du sud. Rosa Parks n’a pas attendu qu’on lui donne une place dans sa société. Elle l’a tout simplement prise. Je suis comme cette femme inspirante : je n’attends pas. Et chaque immigrant ou enfant d’immigrants gagnerait à foncer et à s’inclure dans le «Nous» sans attendre qu’on lui tende la main.

Je suis loin de croire que ma société est parfaite. Mais la perfection n’étant pas de ce monde, j’accepte de composer avec ses imperfecti­ons. Si une porte se ferme devant moi, je ne m’apitoierai pas sur mon sort: j’irai plutôt frapper à celle d’à côté. Comme chacun de vous, j’assiste maintenant au déferlemen­t de cette haine de l’autre, de l’étranger, sur les réseaux sociaux. Hier, c’était le port du voile qui échauffait les esprits, aujourd’hui, ce sont les illégaux qui franchisse­nt nos frontières à pied. C’est très difficile de rester stoïque face aux insultes qui fusent de toutes parts. C’est très difficile de penser qu’on élève des enfants dans un tel climat. Mais rien de ce qui sera dit, écrit ou fait par ceux qui ne veulent pas que nous soyons « Nous » ne me fera croire que je suis autre chose qu’une Québécoise.

Comme la journalist­e Cathy Wong dans le documentai­re de RDI, j’ai pris conscience que je ne venais pas du pays de mes parents quand j’ai visité leur patrie. Comme elle, c’est à ce moment-là que j’ai réaffirmé mon identité québécoise. Dans le passé, un Québécois «dit de souche» m’a déclaré: « Québécoise ? Ça va prendre du temps avant que la société accepte que tu dises une chose pareille.» Ce que je ne lui ai pas dit, mais que je lui dirais sans broncher aujourd’hui, c’est que je n’ai pas à attendre que qui que ce soit m’accepte : je suis déjà.

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