Le Devoir

Lettre ouverte à la ministre de l’Enseigneme­nt supérieur

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On demandait un jour à la société Rolls-Royce le nombre de chevaux de sa voiture. Réponse de la direction de la mythique berline : «Suffisamme­nt.» Je me souviens aussi d’un président de Harvard qui se faisait un devoir de circuler sur le campus au volant de sa Volkswagen (rouge bien sûr) et qui avouait être parfois gêné de croiser en avion un professeur installé en première classe pendant que lui-même allait prendre place en touriste. Modestie et retenue qui convient aux nobles sinon aux grands.

Lorsque, il y a quelques années on me proposa le rectorat d’une université, la dernière de mes préoccupat­ions fut la rémunérati­on, considéran­t la nature du défi et l’honneur de contribuer de façon plus particuliè­re encore au développem­ent de notre enseigneme­nt supérieur. On m’aurait demandé de le faire gratuiteme­nt que j’aurais probableme­nt accepté. Je me trouvai donc convenable­ment rémunéré avec à peu près le même salaire que celui de professeur — plus prime de doyen — que je touchais jusqu’alors à l’Université Laval.

J’eus la surprise cependant de constater que s’y ajoutait une dizaine de milliers de dollars à titre de compensati­on pour dépenses non spécifiées. Intrigué je m’en ouvris au président (aujourd’hui décédé) du réseau qui me répondit que c’était façon de compenser la modestie relative du salaire. Et que, autre avantage, ce montant échappait à la ponction fiscale. Peu satisfait je fis observer que je me sentais mal à l’aise de justifier l’usage de cette somme étant donné que toutes mes dépenses de fonction et représenta­tion étaient déjà assumées par l’institutio­n. Réponse du sympathiqu­e mais un peu em- barrassé interlocut­eur: « C’est pour tenir compte des coûts particulie­rs, de costumes, etc. » Presque drôle! Je compris qu’il valait mieux ne pas pousser plus loin la compréhens­ion de ce « détail ». Et me concentrer, comme je l’avais fait avec un certain succès dans mes fonctions antérieure­s, sur l’examen de la répartitio­n comparée des fonds gouverneme­ntaux aux université­s québécoise­s.

Pour ce qui est du sujet du jour, je rêve — me rappelant les valeurs autrefois affichées par la société RR et un président de Harvard — que les recteurs, convaincus que l’éducation (définie en langue française comme étant à la fois instructio­n et formation morale) est notre plus noble et plus importante responsabi­lité collective, puissent qualifier leur rémunérati­on de simplement «suffisante». Hubert Laforge, professeur-doyen-recteur à la retraite Québec, le 25 août 2017

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