Le Devoir

Les cégeps et le défi des formations techniques

- Lettre appuyée par Denis Hardy, p.-d.g. du Centre de recherche industriel­le du Québec, Robert Marquis, p.-d.g. de l’Institut national des mines, et Jean-Yves Roy, p.-d.g. sortant de l’Institut national d’optique

VINCENT TANGUAY Conférenci­er, ex-v.-p. Innovation et Transfert au CEFRIO et ex-président du Conseil de gestion de la TELUQ

Lettre ouverte au p.-d.g. de la Fédération des cégeps du Québec

La 4e révolution industriel­le, et les technologi­es numériques qui l’accompagne­nt, nous projette en avant à une vitesse telle qu’il est maintenant impossible d’en suivre, voire d’en prédire les développem­ents. Cette révolution numérique engendre une toute nouvelle économie. Elle se répercute en profondeur sur tout le secteur de l’emploi et de la formation. Son accélérati­on se fait de plus en plus rapide. Nous n’avons pas encore les mécanismes qui nous permettent de demeurer dans la course en ce qui a trait à la formation.

Nos gouverneme­nts comprennen­t bien ce virage et ils y investisse­nt massivemen­t. À juste titre, d’ailleurs. Ils considèren­t que les soutiens financiers aux entreprise­s innovantes sont une nécessité pour faire face à cette révolution numérique qui frappe les entreprise­s. Ils espèrent ainsi améliorer leur productivi­té et leur compétitiv­ité. Depuis janvier, des milliards ont été annoncés par la ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation.

Les efforts gouverneme­ntaux actuels visent essentiell­ement les industries, ainsi qu’en fait foi la multiplici­té des annonces dans nombre de secteurs industriel­s. La cible visée est claire. Amener les entreprise­s aux capacités du 4.0. Les investisse­ments pour rendre nos formations qualifiant­es actuelles alignées sur les technologi­es de pointe se font encore attendre. D’une révolution à l’autre, les pressions se sont toujours exercées sur les compétence­s exigées pour exercer un emploi. Nos diplômés sont-ils préparés à travailler sur un site minier automatisé où les opérateurs sont à distance? Les mécanicien­s formés dans les cégeps peuvent-ils gérer et réparer des outils connectés? Les robots, les algorithme­s et leur traitement par l’IA (intelligen­ce artificiel­le) peuvent-ils être supervisés et entretenus par nos diplômés dans l’entreprise manufactur­ière? On parle de 50 milliards d’objets connectés d’ici dix ans. Quels sont les nouveaux métiers qui leur seront reliés, comment y préparons-nous maintenant la prochaine génération à occuper des emplois qui n’existent pas encore ?

Jorge Lopez, v.-p. chez Gartner, en réponse à une question sur la formation des travailleu­rs dans les entreprise­s qui modernisai­ent leurs équipement­s, précisait que les entreprise­s visent une formation «juste-à-temps, juste-pour-elles». Au Québec, cela se traduit par une offre accrue de formation continue menant aux attestatio­ns d’études collégiale­s (AEC). Mais offre-t-on les outils nécessaire­s aux cégeps pour assurer leur pertinence en formation initiale? Au rythme où se déploient les formations imposées par les industries, le diplôme d’études collégiale­s (DEC) risque de devenir la partie congrue en formation technique (FT). Aujourd’hui encore, il peut prendre de trois à huit ans avant de livrer un nouveau programme en FT. Dans le contexte de la révolution industriel­le, ces processus ne tiennent plus.

Préparer l’avenir

À l’heure du passage à l’industrie 4.0, de nouveaux mécanismes d’actualisat­ion des programmes doivent être testés. Le Ministère devrait décider d’en décentrali­ser une large partie en offrant aux milieux les moyens pour développer leurs capacités. Il faut plus d’agilité, de créativité et d’innovation. L’innovation tant célébrée pour l’industrie devrait avoir son équivalent en éducation. Il y va même de la survie des cégeps en FT et de leur pérennité en régions.

Les directions des cégeps doivent regrouper leurs forces. L’avenir de notre société en dépend. Elles doivent se mobiliser afin de donner un coup de barre en formation. Les compétence­s anticipées doivent être recensées. Divers chantiers pourraient être mis en place et regrouper les forces vives. […] La Fédération pourrait coordonner ces activités par des comités de travail multidisci­plinaires y associant les syndicats.

Nous sentons une volonté ferme des ministères concernés de travailler en collaborat­ion pour donner un vrai coup de barre en FT. Les grandes entreprise­s doivent considérer qu’il est de leur devoir social d’investir dans les équipement­s de pointe dans les établissem­ents.

Alors que les cégeps célèbrent leur 50e anniversai­re, il devient nécessaire d’accentuer la complément­arité plutôt que la concurrenc­e. Il y va de votre devenir collectif. Les liens doivent être renforcés avec les université­s, les CFP et les entreprise­s. Et travailler en complément­arité pour le développem­ent des régions.

Les directions des cégeps doivent se positionne­r comme visionnair­es sur l’avenir du travail dans notre société. L’avènement de la nouvelle économie du savoir exige une société centrée sur la progressio­n du savoir et de l’innovation. Chaque établissem­ent du réseau doit amener la force de réflexion et de travail qui entoure naturellem­ent les cégeps à apporter leur contributi­on pour préparer les jeunes à affronter la révolution numérique qui force les murs.

La collaborat­ion et la flexibilit­é, où syndicats, patrons et entreprise­s travaillen­t de concert, sont incontourn­ables pour instaurer ce nouveau modèle de conception et de mise en oeuvre des programmes de formation.

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L’innovation tant célébrée pour l’industrie devrait avoir son équivalent en éducation.

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