Le Devoir

Des sinistrés du printemps tempêtent

Quatre mois après les inondation­s au Québec, plusieurs citoyens attendent toujours qu’on les autorise à rénover leur maison

- AMÉLI PINEDA

Des sinistrés des inondation­s du printemps accusent Québec de les avoir oubliés tandis que le ministre Martin Coiteux assure au contraire avoir respecté son engagement de transmettr­e tous les rapports d’évaluation des dommages à ceux qui avaient reçu la visite d’un inspecteur avant le mois de juillet.

Mercredi, cela faisait exactement 13 semaines qu’Alain Circo, un résident de l’Île-Mercier, dans l’arrondisse­ment de L’ÎleBizard-Sainte-Geneviève, à Montréal, avait reçu la visite d’un inspecteur pour évaluer les dommages de sa maison au bord de l’eau.

Lorsque le 11 juillet le ministre de la Sécurité publique a promis l’envoi des rapports d’évaluation en cinq semaines, M. Circo croyait que son cauchemar serait enfin terminé.

«En ce moment, j’ai l’impression que je n’existe pas. Depuis le mois de mai, j’ai fait des suivis deux à trois fois par semaine et chaque fois c’est la même réponse. On me demande d’être patient», raconte M. Circo.

Le père de famille est en colère, mais il est surtout épuisé. Depuis qu’il a quitté sa maison le 3 mai dernier, il a déménagé quatre fois avec sa femme et leurs enfants de trois et dix ans.

«On a logé chez des amis pendant quelques jours parce qu’on pensait que c’était une question de quelques semaines. Puisqu’on n’avait pas de réponses, on s’est trouvé un logement pour un mois. Ensuite, toujours sans nouvelles du ministère, on en a trouvé un pour trois mois et aujourd’hui on vient d’en prendre un pour six mois», déplore M. Circo.

Une de ses voisines, Sylvie Blackburn, croit que le gouverneme­nt ne réalise pas l’impact psychologi­que des délais imposés aux sinistrés.

«Une maison, c’est une grosse partie de notre vie. On a perdu tous nos repères du jour au lendemain. Tout ce qu’on demande c’est qu’on nous dise ce qui nous attend. Ça fait quatre mois déjà », souligne Mme Blackburn.

L’agente de voyage vient à peine de reprendre son emploi après un arrêt de travail trois mois. L’adrénaline des efforts pour sauver la maison a fait place à la fatigue, puis à la déprime.

«C’est stressant de ne pas savoir ce qui va arriver. Pendant des semaines, je ne pensais qu’à ça.

J’étais incapable de me concentrer, tout ce que je faisais c’était remplir des documents et même si j’ai été à mon affaire, chaque fois que j’appelle au ministère, on me demande de patienter», dit Mme Blackburn.

À Saint-André-d’Argenteuil, dans les Laurentide­s, Patrick Lamothe appréhende la fin de l’été et craint de ne pas recevoir son rapport à temps pour amorcer les travaux dans sa résidence avant l’hiver. L’homme et sa conjointe dorment dans une roulotte garée devant leur maison « fantôme » depuis qu’elle a été inondée en avril dernier.

«Les experts sont passés le 17 juin et nous ont dit que le ministère nous donnerait des nouvelles en deux semaines. Depuis, tout le monde se renvoie la balle et nous on dort toujours dans l’entrée », déplore M. Lamothe.

Le ministre Coiteux assure avoir respecté son engagement, alors qu’en date du 25 août, 3049 rapports d’évaluation des dommages ont été envoyés. Son cabinet indique qu’on ne peut commenter les cas précis des sinistrés rencontrés par Le Devoir qui avaient pourtant reçu la visite d’un inspecteur lors de l’engagement du ministre.

«Dans certains cas, on doit évaluer la nature de l’inondation, on doit confirmer si le cours d’eau est sorti de son lit ou si c’est plutôt un refoulemen­t d’égout. Il y a aussi des cas où les sinistrés ont des assureurs privés, on doit faire des vérificati­ons pour ne pas qu’on paie en double », indique Marie-Ève Pelletier, attachée du ministre.

Exaspérati­on

L’exaspérati­on face aux délais de Québec ne vient toutefois pas seulement des citoyens. Excédé par la lenteur du gouverneme­nt, le maire de Rigaud, Hans Gruenwald, a décidé mercredi de court-circuiter le système et de passer directemen­t à l’action pour venir en aide à ses citoyens sinistrés.

«Nous avons plus de 250 dossiers ouverts et nous avons 15 dossiers en traitement. C’est inacceptab­le rendu à ce stade-ci», a pesté le maire Gruenwald en conférence de presse.

«L’hiver, c’est demain et nous avons encore énormément de gens qui n’ont pas réintégré leur résidence », a-t-il fait valoir. « Nous sommes le gouverneme­nt de proximité et mon propre ministère de la Sécurité publique ne me donne pas l’informatio­n dont j’ai besoin pour aller de l’avant et aider ces gens-là. »

Le maire de L’Île-Bizard-Sainte-Geneviève, Normand Marinacci avoue lui aussi être étonné des délais de Québec. « Le ministre Coiteux doit faire bouger la machine. Il faut donner des réponses aux sinistrés. Nous, on ne peut pas leur donner de permis tant qu’ils n’ont pas leur rapport d’évaluation», rappelle-t-il.

Quant au maire de Montréal, Denis Coderre, son cabinet dit être en « contact constant » avec le ministre.

«Montréal continue de suivre de très près ces dossiers et offre aux sinistrés le soutien et l’accompagne­ment nécessaire­ment et déploie tous les efforts pour traiter les requêtes de permis», a indiqué Marc-André Gosselin, attaché de presse du maire.

Le ministre Coiteux n’a toutefois pas la même lecture de la situation. Il va même jusqu’à s’interroger sur l’empresseme­nt des sinistrés eux-mêmes à s’occuper de leur dossier.

«Les citoyens qui ont leur rapport d’inspection, qui savent quels travaux doivent être effectués, doivent aller à la municipali­té pour demander un permis de constructi­on», a-t-il rappelé.

«Le maire de Rigaud se demandait pourquoi tous ces gens-là n’étaient pas venus faire leur demande de permis. J’enjoins tous les citoyens à aller voir leur municipali­té pour faire leur demande de permis», a-t-il ajouté.

Interrogé à savoir s’il estimait que les retards étaient imputables aux sinistrés, le ministre a toutefois fait marche arrière. «Je ne suis pas en train de vous dire que notre façon de faire les choses ne peut pas être améliorée. Elle doit l’être. C’est pour ça qu’on a l’intention de tenir un bilan », a-t-il dit.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Patrick Lamothe craint de ne pas recevoir d’évaluation des dommages à temps pour faire les travaux avant l’hiver.

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