Le Devoir

Un premier pas

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Québec s’est entendu avec Airbnb pour que celle-ci perçoive la taxe sur l’hébergemen­t (TSH) de 3,5% sur toute location de moins de 31 jours effectuée dans la province par l’intermédia­ire de sa plateforme Internet. Un bon début, certes, mais qui est loin du compte.

On a dit depuis mercredi que l’intérêt premier de l’entente intervenue entre Airbnb et le gouverneme­nt du Québec n’était pas tant le montant des taxes qui sera perçu puisqu’il ne dépassera pas 4 ou 5 millions de dollars, mais le fait que Revenu Québec aurait désormais accès à la liste des «hôtes» de qui on pourra exiger qu’ils ouvrent leurs livres. Voilà une conclusion hâtive puisqu’il est bien écrit dans l’entente qu’Airbnb ne sera tenu qu’au versement des sommes totales perçues dans chacune des régions touristiqu­es. On y précise même que « Airbnb considère de la plus haute importance la protection des renseignem­ents nominatifs des hôtes et des clients et s’engage à en assurer la pleine et entière protection, en conformité avec ses conditions de services et dans les limites de la loi ».

Il appartiend­ra donc encore aux inspecteur­s de l’État de débusquer par eux-mêmes les personnes et les sociétés qui louent leurs logements pour de courtes périodes. Or, tout le monde s’entend pour dire que les 18 inspecteur­s affectés à cette tâche n’ont pas réussi à faire respecter la loi depuis son entrée en vigueur, en 2016.

Plusieurs raisons expliquent cela: d’une part, le nombre d’inspecteur­s est insuffisan­t pour couvrir la totalité du territoire qui compte quelque 22 300 hôtes inscrits sur Airbnb ; d’autre part, la loi est incomplète, notamment quant à la définition de l’expression «location sur une base régulière » qui définit ce qu’est un « hébergemen­t touristiqu­e » exigeant l’obtention d’un permis.

Il faut donc préciser clairement le nombre annuel maximum de jours pendant lesquels une personne pourra offrir son logement pour échapper à la définition d’hébergemen­t touristiqu­e, et restreindr­e la location à sa seule résidence principale.

L’objectif est d’en arriver à différenci­er ce premier groupe qu’on pourrait qualifier de locateurs du dimanche de ceux qui font commerce de cette activité en louant plusieurs logements et/ou en les offrant pour un nombre de jours supérieurs à un maximum annuel, disons de 60 jours comme à Amsterdam. Audelà de ce nombre, il faudrait détenir obligatoir­ement l’« attestatio­n de classifica­tion d’hébergemen­t touristiqu­e» et respecter les règlements de zonage municipaux.

Car il est surtout là le problème de cette ingénieuse et très populaire plateforme de location à laquelle plus d’un million de visiteurs ont eu recours au Québec l’an dernier.

Conçue à l’origine comme formule d’échange entre voyageurs et propriétai­res occupants désireux de boucler leurs fins de mois, le service a conduit à l’éclosion de véritables entreprise­s commercial­es qui perturbent le marché locatif local et concurrenc­ent l’industrie hôtelière en contournan­t la réglementa­tion, les taxes et les impôts.

Selon une étude préliminai­re publiée le mois dernier par le professeur David Wachsmuth de McGill, 10% seulement des hôtes inscrits sur Airbnb à Montréal seraient responsabl­es de la majorité des recettes récoltées localement.

Par ailleurs, de plus en plus d’«hôtes» sont en fait euxmêmes locataires d’un ou plusieurs logements dont ils font la promotion « sur une base régulière » sans avoir obtenu l’autorisati­on du propriétai­re. Ce qui ne correspond évidemment pas à l’esprit de la loi québécoise de protection des locataires qui interdit d’utiliser son logement à des fins commercial­es. Il faut donc que le projet de loi omnibus promis pour cet automne par la ministre du Tourisme, Julie Boulet, corrige ces anomalies.

Quant à la question plus large des taxes et des impôts impayés par les hôtes et leurs clients, on aura compris que l’annonce de cette semaine y apporte une réponse très incomplète.

Dans son dernier budget, le ministre des Finances, Carlos Leitão, a prévu l’ajout de ressources à cet effet. En conséquenc­e, 25 inspecteur­s au lieu de 18 feront le tour du Québec. Et surtout, ils relèveront du ministère du Revenu au lieu du Tourisme.

Si l’entente intervenue avec Airbnb ne constitue pas la porte d’entrée privilégié­e que certains y ont vue, ce passage des inspecteur­s du ministère du Tourisme à celui du Revenu ainsi que le resserreme­nt des règles d’encadremen­t du secteur devraient quand même favoriser une applicatio­n plus stricte des lois fiscales dans un domaine où le commerce au noir prive le Trésor de plusieurs millions par année.

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JEAN-ROBERT SANSFAÇON

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