Le Devoir

Ce n’est pas la vision qui manque dans le réseau des cégeps

Réplique à la lettre ouverte de Vincent Tanguay, «Les cégeps et le défi des formations techniques», parue le 29 août 2017

- BERNARD TREMBLAY Président-directeur général de la Fédération des cégeps

D’entrée de jeu, je voudrais remercier M. Tanguay d’intervenir dans l’espace public au sujet de la formation collégiale. Son point de vue est extrêmemen­t intéressan­t et rejoint plusieurs préoccupat­ions des cégeps quant aux défis que le Québec devra relever. Il nous prête cependant, en tant que réseau, beaucoup plus de latitude que celle dont nous disposons vraiment.

Tout comme M. Tanguay, nous sommes au fait des exigences qui découlent de la quatrième révolution industriel­le, de même que des enjeux liés au virage numérique. Sur ce dernier point, la Fédération des cégeps a déposé l’un des mémoires les plus fouillés lors de la consultati­on gouverneme­ntale sur la stratégie numérique, selon les dires des représenta­nts du gouverneme­nt. Nous avons également tenu sur cette question un important colloque. Nous siégeons par ailleurs à la Commission des partenaire­s du marché du travail, ce qui nous amène à côtoyer les représenta­nts des entreprise­s. Il va donc sans dire que nous connaisson­s les besoins du marché du travail. Sans oublier, bien sûr, les exigences de ceux qui sont au coeur de la mission des 48 cégeps : les jeunes et les adultes en formation, qu’elle soit initiale ou continue, car il faut se rappeler qu’on doit désormais apprendre tout au long de la vie.

Le portrait que brosse Vincent Tanguay est fidèle à la lecture que nous faisons nous-mêmes des besoins émergents. Nous adhérons à l’idée qu’il faut, de manière urgente, réduire les délais inhérents à la révision ou à la création des programmes techniques. Et c’est relativeme­nt à cette situation que, comme je l’évoquais plus haut, M. Tanguay nous accorde une autonomie dont nous ne pouvons que rêver, malgré nos appels répétés au changement à cet égard.

Nombreux obstacles

La révision des programmes d’études des cégeps relève du ministère de l’Éducation et de l’Enseigneme­nt supérieur, qui peut prendre plusieurs années avant de mener à terme l’exercice, à partir du moment où il accepte de l’entreprend­re. Même si les cégeps sont déjà mobilisés quant aux défis qui nous attendent collective­ment, je suis forcé de signaler aussi qu’un grand nombre d’obstacles brident le leadership et la capacité d’adaptation des cégeps, les empêchant de jouer pleinement leur rôle.

Ces obstacles, ils sont réglementa­ires, les récentes modificati­ons gouverneme­ntales au règlement qui régit l’enseigneme­nt collégial n’apportant aucun changement significat­if aux programmes de diplômes d’études collégiale­s (DEC). Ils sont aussi de nature financière, comme le soulève M. Tanguay. Le modèle de financemen­t des cégeps est dépassé et n’offre qu’une solution partielle devant les réalités économique­s et sociales variables selon la région. Le développem­ent d’un financemen­t plus autonome des cégeps doit aussi être soutenu. Ce sont là des enjeux avec lesquels les cégeps composent depuis de nombreuses années, sans oublier que ces derniers ne se sont pas encore remis des compressio­ns budgétaire­s qui les ont fragilisés alors qu’ils auraient dû être en développem­ent.

Les cégeps sont depuis longtemps des « visionnair­es sur l’avenir du travail », comme l’évoque M. Tanguay. Ils travaillen­t chaque jour avec les jeunes qui bâtiront notre avenir collectif, ils sont en contact constant avec les représenta­nts des milieux économique, scientifiq­ue et technologi­que, et revoient leurs pratiques en collaborat­ion avec le milieu du travail. Ils ne peuvent donc faire autrement que de regarder en avant et d’anticiper les besoins et les changement­s de notre société.

Briser le carcan

C’est dans cette perspectiv­e qu’ils ont adhéré aux pistes du rapport du chantier sur l’offre de formation collégiale (rapport Demers) ou encore applaudi à l’avis du Conseil supérieur de l’éducation sur l’instaurati­on de nouveaux diplômes collégiaux. Sur toutes les tribunes, depuis au moins une décennie, la Fédération des cégeps a démontré l’urgence de briser le carcan qui empêche les établissem­ents de son réseau de contribuer davantage au progrès social et économique du Québec. Ces demandes sont toujours en attente de réponses.

Il faut le répéter: le cégep est un succès, il a contribué à extirper le Québec de la «Grande Noirceur», il a permis à deux millions de jeunes d’obtenir un diplôme de l’enseigneme­nt supérieur en 50 ans, il a fait du Québec une société moderne, prospère et plus égalitaire. Quand M. Tanguay affirme, pointant les grandes entreprise­s, qu’il est de « leur devoir social d’investir dans les équipement­s de pointe dans les établissem­ents », nous pourrions ajouter qu’il est de la responsabi­lité de tous — gouverneme­nts, entreprise­s, regroupeme­nts d’affaires, acteurs du monde de l’éducation et individus — de poser des gestes afin que puisse évoluer pleinement l’un de nos meilleurs outils pour assurer demain notre bien-être à tous.

Les cégeps ont déjà un pied dans l’avenir. Pour nous y entraîner comme société, ils ont besoin de la même volonté politique et du même dynamisme collectif grâce auxquels ils nous ont fait émerger de la noirceur il y a 50 ans.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Même si les cégeps sont déjà mobilisés quant aux défis qui nous attendent collective­ment, un grand nombre d’obstacles brident leur leadership et leur capacité d’adaptation, les empêchant de jouer pleinement leur rôle.

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