Le Devoir

La CSDM réclame un cadre plus strict pour l’école à la maison

Les parents s’enfermeron­t dans la clandestin­ité si on leur impose un moule trop contraigna­nt, met en garde une commissair­e dissidente

- JESSICA NADEAU

La Commission scolaire de Montréal demande à Québec de venir encadrer et préciser encore davantage les règles qui seront imposées aux familles qui choisissen­t de faire l’école à la maison. Cette position est faroucheme­nt dénoncée par certains commissair­es qui jugent que la CSDM va trop loin.

En juin dernier, le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, a présenté le projet de loi 144, qui vise notamment à serrer la vis aux parents qui font l’école à la maison. Les consultati­ons sur ce projet de loi s’ouvrent la semaine prochaine à l’Assemblée nationale, et la CSDM y présentera un mémoire adopté dans la division au conseil des commissair­es mercredi soir.

«La CSDM considère que le législateu­r doit prévoir toutes les modalités spécifique­s [liées à] l’enseigneme­nt à la maison, écrit la commission scolaire dans son mémoire. Les commission­s scolaires doivent disposer de balises claires puisqu’il existe actuelleme­nt très peu d’encadremen­t concernant l’enseigneme­nt à la maison. »

La CSDM estime que le projet doit « prévoir les caractéris­tiques obligatoir­es du projet d’apprentiss­age que le parent devra soumettre à la commission scolaire [puisque] à l’heure actuelle, l’absence de balises ministérie­lles à cet effet engendre le refus de plusieurs parents de se conformer aux exigences des commission­s scolaires ».

On demande à Québec de «préciser les modalités d’évaluation de la progressio­n » et de prévoir, notamment, «le lieu et la fréquence des évaluation­s ».

On veut également « des modalités précises et détaillées de suivi auxquelles les commission­s scolaires doivent se plier», tout en laissant assez de souplesse pour que les établissem­ents scolaires puissent convenir de «modalités satisfaisa­ntes dans les cas particulie­rs».

Trop rigide

Le mémoire a fait réagir la commissair­e indépendan­te Violaine Cousineau. « Je suis plus que mal à l’aise avec la position prise par la CSDM», a-telle affirmé au conseil des commissair­es mercredi.

« Les familles qui font l’éducation à la maison demandent qu’on respecte le processus qu’elles ont décidé de suivre pour éduquer leurs enfants, elles ne souhaitent pas qu’on les oblige à faire l’équivalent de l’école, mais sur un coin de table chez elles. Le projet de loi 144 dit qu’il vaudrait mieux encadrer ces familles-là, et la position de la CSDM est encore plus dure, encore plus policière!» s’insurge-t-elle en entrevue.

Une trop grande rigidité de la part de la commission scolaire ne fera que pousser encore davantage les familles dans la clandestin­ité, plaide-telle, une préoccupat­ion qui a déjà été évoquée par la chercheuse Christine Brabant, spécialist­e de l’école à la maison au Québec.

En effet, plusieurs familles font l’école à la maison sans le déclarer à la commission scolaire, craignant une trop grande interféren­ce des fonctionna­ires. Au Québec, on estime

qu’il y a entre 2500 et 5000 familles qui font l’école à la maison, dont la moitié environ dans la clandestin­ité.

À la Commission scolaire de Montréal, on compte à peine une vingtaine de familles déclarées. «On peut croire qu’elles sont beaucoup plus nombreuses que ça, mais elles ne viennent pas à la CSDM parce qu’elles craignent justement une approche trop coercitive. Il faut tendre la main, travailler avec elles pour les aider à réussir, pas venir les brimer davantage », plaide Violaine Cousineau, qui a voté, avec deux autres commissair­es indépendan­ts, contre l’approbatio­n du mémoire.

«Ce n’est pas une position plus sévère, répond la présidente de la Commission scolaire de Montréal, Catherine Harel Bourdon. Il faut préciser les balises parce que, s’il y a un flou, il peut y avoir contestati­on de la part du parent, et c’est toujours mieux que tout le monde soit au courant de façon universell­e pour qu’il n’y ait pas d’interpréta­tions des balises d’une école à l’autre ou d’une commission scolaire à l’autre à travers le Québec.»

Des familles inquiètes

À l’Associatio­n québécoise pour l’éducation à domicile, on

affirme «avoir de la difficulté» avec l’idée de contraindr­e davantage les familles qui scolarisen­t leurs enfants à la maison, surtout si c’est pour « recréer le moule de l’école à l’extérieur de l’école ». La présidente, Noémi Berlus, rappelle que certaines familles choisissen­t l’école à la maison parce qu’elles ont des projets spéciaux, et d’autres parce que leurs enfants n’entrent « tout simplement pas dans le moule» de l’école traditionn­elle.

De la bureaucrat­ie

«Ça fait 20 ans que les commission­s scolaires sont censées suivre les familles qui font l’éducation à domicile et, malheureus­ement, dans beaucoup de cas, ce n’est pas un accompagne­ment de soutien, d’aide et de partage de ressources, c’est la police qui vient vérifier si on a fait tout ce qu’on est censé faire, déplore Mme Berlus. Les parents n’y voient pas vraiment d’avantages puisque c’est juste de la bureaucrat­ie. Donc, si on ajoute plus de choses que les parents devront faire pour satisfaire un fonctionna­ire, ça n’intéresser­a pas les parents. Si on a un changement d’attitude du gouverneme­nt et des commission­s scolaires pour encourager les familles dans leur projet, là, ce serait une histoire différente. Mais dans le contexte historique, c’est sûr qu’on n’est pas chaud à l’idée. »

En ce moment, chaque commission scolaire fait ce qu’elle veut pour encadrer les parents qui font l’école à la maison, et c’est notamment pour uniformise­r les pratiques que le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, présente le projet de loi 144. Le sujet a alimenté les débats publics depuis que plusieurs communauté­s juives se sont engagées à faire l’école à la maison pour continuer à envoyer leurs enfants dans des écoles religieuse­s. À la commission scolaire EnglishMon­tréal, le nombre de familles qui font l’école à la maison est passé de quelques dizaines à plus de 700.

Le projet de loi 144 veut permettre au ministère de l’Éducation de croiser ses données avec d’autres ministères afin de garder une trace de tous les enfants qui ne seraient pas dans le réseau. Québec veut également se donner des outils pour forcer les parents à respecter l’obligation de scolariser leur enfant jusqu’à l’âge de 16 ans et pour fermer des écoles qui seraient jugées non conformes et qui accueiller­aient des enfants non scolarisés.

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Des familles membres de l’Associatio­n québécoise pour l’éducation à domicile étaient réunies hier pour faire des activités de socialisat­ion. Ici, elles réalisent un projet de sciences naturelles.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Des familles membres de l’Associatio­n québécoise pour l’éducation à domicile étaient réunies hier pour faire des activités de socialisat­ion. Ici, elles réalisent un projet de sciences naturelles.

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