La CSDM réclame un cadre plus strict pour l’école à la maison
Les parents s’enfermeront dans la clandestinité si on leur impose un moule trop contraignant, met en garde une commissaire dissidente
La Commission scolaire de Montréal demande à Québec de venir encadrer et préciser encore davantage les règles qui seront imposées aux familles qui choisissent de faire l’école à la maison. Cette position est farouchement dénoncée par certains commissaires qui jugent que la CSDM va trop loin.
En juin dernier, le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, a présenté le projet de loi 144, qui vise notamment à serrer la vis aux parents qui font l’école à la maison. Les consultations sur ce projet de loi s’ouvrent la semaine prochaine à l’Assemblée nationale, et la CSDM y présentera un mémoire adopté dans la division au conseil des commissaires mercredi soir.
«La CSDM considère que le législateur doit prévoir toutes les modalités spécifiques [liées à] l’enseignement à la maison, écrit la commission scolaire dans son mémoire. Les commissions scolaires doivent disposer de balises claires puisqu’il existe actuellement très peu d’encadrement concernant l’enseignement à la maison. »
La CSDM estime que le projet doit « prévoir les caractéristiques obligatoires du projet d’apprentissage que le parent devra soumettre à la commission scolaire [puisque] à l’heure actuelle, l’absence de balises ministérielles à cet effet engendre le refus de plusieurs parents de se conformer aux exigences des commissions scolaires ».
On demande à Québec de «préciser les modalités d’évaluation de la progression » et de prévoir, notamment, «le lieu et la fréquence des évaluations ».
On veut également « des modalités précises et détaillées de suivi auxquelles les commissions scolaires doivent se plier», tout en laissant assez de souplesse pour que les établissements scolaires puissent convenir de «modalités satisfaisantes dans les cas particuliers».
Trop rigide
Le mémoire a fait réagir la commissaire indépendante Violaine Cousineau. « Je suis plus que mal à l’aise avec la position prise par la CSDM», a-telle affirmé au conseil des commissaires mercredi.
« Les familles qui font l’éducation à la maison demandent qu’on respecte le processus qu’elles ont décidé de suivre pour éduquer leurs enfants, elles ne souhaitent pas qu’on les oblige à faire l’équivalent de l’école, mais sur un coin de table chez elles. Le projet de loi 144 dit qu’il vaudrait mieux encadrer ces familles-là, et la position de la CSDM est encore plus dure, encore plus policière!» s’insurge-t-elle en entrevue.
Une trop grande rigidité de la part de la commission scolaire ne fera que pousser encore davantage les familles dans la clandestinité, plaide-telle, une préoccupation qui a déjà été évoquée par la chercheuse Christine Brabant, spécialiste de l’école à la maison au Québec.
En effet, plusieurs familles font l’école à la maison sans le déclarer à la commission scolaire, craignant une trop grande interférence des fonctionnaires. Au Québec, on estime
qu’il y a entre 2500 et 5000 familles qui font l’école à la maison, dont la moitié environ dans la clandestinité.
À la Commission scolaire de Montréal, on compte à peine une vingtaine de familles déclarées. «On peut croire qu’elles sont beaucoup plus nombreuses que ça, mais elles ne viennent pas à la CSDM parce qu’elles craignent justement une approche trop coercitive. Il faut tendre la main, travailler avec elles pour les aider à réussir, pas venir les brimer davantage », plaide Violaine Cousineau, qui a voté, avec deux autres commissaires indépendants, contre l’approbation du mémoire.
«Ce n’est pas une position plus sévère, répond la présidente de la Commission scolaire de Montréal, Catherine Harel Bourdon. Il faut préciser les balises parce que, s’il y a un flou, il peut y avoir contestation de la part du parent, et c’est toujours mieux que tout le monde soit au courant de façon universelle pour qu’il n’y ait pas d’interprétations des balises d’une école à l’autre ou d’une commission scolaire à l’autre à travers le Québec.»
Des familles inquiètes
À l’Association québécoise pour l’éducation à domicile, on
affirme «avoir de la difficulté» avec l’idée de contraindre davantage les familles qui scolarisent leurs enfants à la maison, surtout si c’est pour « recréer le moule de l’école à l’extérieur de l’école ». La présidente, Noémi Berlus, rappelle que certaines familles choisissent l’école à la maison parce qu’elles ont des projets spéciaux, et d’autres parce que leurs enfants n’entrent « tout simplement pas dans le moule» de l’école traditionnelle.
De la bureaucratie
«Ça fait 20 ans que les commissions scolaires sont censées suivre les familles qui font l’éducation à domicile et, malheureusement, dans beaucoup de cas, ce n’est pas un accompagnement de soutien, d’aide et de partage de ressources, c’est la police qui vient vérifier si on a fait tout ce qu’on est censé faire, déplore Mme Berlus. Les parents n’y voient pas vraiment d’avantages puisque c’est juste de la bureaucratie. Donc, si on ajoute plus de choses que les parents devront faire pour satisfaire un fonctionnaire, ça n’intéressera pas les parents. Si on a un changement d’attitude du gouvernement et des commissions scolaires pour encourager les familles dans leur projet, là, ce serait une histoire différente. Mais dans le contexte historique, c’est sûr qu’on n’est pas chaud à l’idée. »
En ce moment, chaque commission scolaire fait ce qu’elle veut pour encadrer les parents qui font l’école à la maison, et c’est notamment pour uniformiser les pratiques que le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, présente le projet de loi 144. Le sujet a alimenté les débats publics depuis que plusieurs communautés juives se sont engagées à faire l’école à la maison pour continuer à envoyer leurs enfants dans des écoles religieuses. À la commission scolaire EnglishMontréal, le nombre de familles qui font l’école à la maison est passé de quelques dizaines à plus de 700.
Le projet de loi 144 veut permettre au ministère de l’Éducation de croiser ses données avec d’autres ministères afin de garder une trace de tous les enfants qui ne seraient pas dans le réseau. Québec veut également se donner des outils pour forcer les parents à respecter l’obligation de scolariser leur enfant jusqu’à l’âge de 16 ans et pour fermer des écoles qui seraient jugées non conformes et qui accueilleraient des enfants non scolarisés.