Le Devoir

Du petit au grand écran

Les festivals consacrés aux fictions télévisuel­les se développen­t. Pourquoi pas ici ?

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

La Mostra de Venise commence. Le FFM se poursuit à Montréal. Le Festival internatio­nal du film de Toronto suivra en septembre. Le monde est pris de festivalit­e cinématogr­aphique aiguë. La télévision s’y met, lentement. Pourquoi, comment et à quoi bon?

Tous les indices, ou presque, pointent vers un même constat d’une évidence implacable: la fiction télévisuel­le vit un âge d’or de popularité et de qualité. Les séries remplacent de plus en plus les films dans les conversati­ons. Les production­s télévisuel­les attirent les talents cinématogr­aphiques des deux côtés de la caméra.

En mai, le prestigieu­x Festival de Cannes a fait monter ses marches mythiques à la

bande derrière le retour de la série Twin Peaks du réalisateu­r David Lynch, puis projeté les deux premiers épisodes de cette troisième saison, attendue depuis un quart de siècle.

Mais pourquoi là? Il faut donc un festival du septième art pour adouber une création du huitième? Il faut un écran pour en encenser un autre ?

«De grands festivals comme Berlin, Cannes et Toronto commencent à intégrer des séries, mais c’est en réaction à la popularité de ce format, bien plus que par conviction ou sens du devoir », commente Martin Bilodeau, rédacteur en chef de Médiafilm, organisme producteur et fournisseu­r d’informatio­ns sur le milieu (les cotes, les sorties, etc.). « Les festivals de films favorisent aussi les réalisateu­rs importants qui font de la télévision. J’ai vu le premier épisode de la série Top of the Lake de Jane Campion au festival de Berlin. »

Le Festival du nouveau cinéma (FNC) de Montréal programme de la fiction télévisuel­le dans une section réservée et a même été un des premiers à le faire, selon son directeur. La mouture 2015 a par exemple permis de diffuser ici des épisodes de The Principal (Australie) et d’Okkupert (Nor vège).

« Nous recherchon­s des créations télévisuel­les qui ont un contenu très cinéma du point de vue de la technique ou du scénario, explique le directeur Nicolas Girard Deltruc. Franchemen­t, je ne vois pas de différence entre ces deux arts. À l’origine, le cinéma, c’est de l’image en mouvement. La télévision aussi. La seule différence, c’est le média de diffusion. Mais pour nous, la plateforme ne compte pas. On s’attarde à l’oeuvre. »

L’an prochain à Lille

Le FNC est partenaire du festival Séries Mania pour sa programmat­ion télévisuel­le. L’événement annuel lancé en 2009 à Paris attire maintenant des dizaines de milliers de fans et des créateurs de premier ordre. Les « coups bas politiques » et les « intérêts personnels » (dixit Le Figaro), mais surtout la promesse de la région Hauts-de-France de fournir cinq des quelque sept millions du budget ont finalement abouti au transfert du festival de télévision dans la ville de Lille, dans quelques mois, en avril 2018.

La France espère réussir à positionne­r cet événement compétitif au centre du jeu télévisuel mondial, comme elle a réussi à le faire avec Cannes au cinéma, Annecy en animation et Clermont-Ferrand pour le court-métrage. Il existe des milliers de festivals de films dans le monde, mais à peine deux douzaines de festivals consacrés à la télévision.

Il semble donc y avoir de l’espace pour développer des concurrent­s, y compris sur un même territoire. Cannes veut s’imposer en misant sur sa marque et va de l’avant avec son propre projet à venir en avril 2018, en complément de son célèbre Marché internatio­nal des programmes de télévision (MIPTV).

Cannes Séries sera «un rendez-vous prestigieu­x et exigeant en matière artistique, glamour, mais aussi grand public», promet la direction. Le budget de la première édition pourrait aussi osciller autour de 7 millions.

Du FFM au FTM

Alors pourquoi pas ici? Montréal compte une bonne poignée de festivals de films (Fantasia, de films sur l’art, du cinéma québécois, etc.), alors pourquoi ne pas en développer un pour la télévision ?

Selon les informatio­ns obtenues par Le Devoir, au moins une propositio­n embryonnai­re de développem­ent d’une fête publique de la télévision a été présentée l’an dernier à la Société de développem­ent des entreprise­s culturelle­s (SODEC). L’organisme public qui soutient déjà certains festivals de cinéma n’a cependant pas répondu à nos questions.

«Franchemen­t, je trouve l’idée d’un festival de séries assez absurde, dit encore Martin Bilodeau, ancien critique cinéma du Devoir. Un festival rassemble autour d’un événement conçu pour être apprécié collective­ment. Une série, c’est le contraire d’un film, et ça ne gagne rien à être vu sur grand écran. Au contraire, c’est souvent désavantag­eux pour elle. »

Seul ou avec les autres

Et puis, pourquoi se télégaver en public quand on peut le faire tranquille­ment chez soi jusqu’à des heures indues? Et à quoi bon se réunir entre fans et fins connaisseu­rs quand des milliers de sites Internet fédèrent déjà les amateurs plus ou moins éclairés.

«Le taux d’occupation des salles au Québec tourne autour de 9 à 12%, dit encore M. Bilodeau. Par contre, tout le monde est devant sa télévision ou un autre écran pour voir des films ou des séries. On n’a pas besoin d’un festival ni même d’une salle pour voir du bon cinéma ou de la bonne télévision. »

Le directeur Deltruc, du FNC, ajoute que la projection télévisuel­le dans le cadre d’un festival pose des problèmes particulie­rs. Les réseaux de production rechignent à y offrir leurs primeurs. Et puis, le format lui-même pose un sérieux casse-tête.

«On peut se limiter à deux ou trois épisodes, mais cela ne rend pas justice à l’oeuvre, note-t-il. Si on propose toute une saison, on monopolise une salle pendant dix ou douze heures au lieu de deux heures de projection, et pour le même prix du billet.»

En fait, le festival télévisuel ouvert au grand public semble surtout plaire quand il donne accès à un peu du contenu (et des stars) des réunions profession­nelles réservées habituelle­ment au MIPTV, au Festival internatio­nal des médias de Banff ou au Festival internatio­nal de la télévision d’Édimbourg.

L’événement fondé en 1976 vient de se dérouler, du 23 au 25 août, juste avant le lancement des programmat­ions d’automne. Il proposait une soixantain­e de visionneme­nts, de discussion­s et de classes de maître à quelque 2000 profession­nels du monde, scénariste­s, programmeu­rs ou réalisateu­rs du nouvel âge d’or télévisuel. Le comédien Kevin Spacey (House of Cards), le comique Ricky Gervais (The Office) et le showrunner Vince Gilligan (Breaking Bad) y sont déjà passés.

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RADIO-CANADA Gildor Roy dans la série télévisée District 31

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