Le Devoir

Les concession­naires appréhende­nt un choc financier

Les défenseurs du transport électrique plaident pour leur part en faveur de règles plus dures

- FRANÇOIS DESJARDINS

Les règlements proposés par Québec pour stimuler la vente de voitures branchable­s, qui ont fait l’objet d’une consultati­on cet été, provoquent des réactions diamétrale­ment opposées. Alors que les concession­naires demandent de la flexibilit­é en évoquant de possibles difficulté­s financière­s, les constructe­urs parlent d’un manque de souplesse. De leur côté, les adeptes du transport électrique répondent qu’il faudrait des règles plus musclées.

Dans la foulée de l’adoption unanime du projet de loi no 104, en octobre 2016, Québec a publié cet été les règlements qui en baliseront l’applicatio­n, notamment au chapitre des objectifs de vente et des sommes que les constructe­urs pourraient verser s’ils n’atteignaie­nt pas les cibles. La période de commentair­es a pris fin le 19 août.

«Il est certain que, si on veut aller quelque part, ça prend des exigences», dit Me Frédéric Morin, vice-président des affaires juridiques à la Corporatio­n des concession­naires d’automobile­s du Québec. L’organisme est favorable à l’électrific­ation des transports, a-t-il affirmé. «Mais la question, c’est comment on va gérer ces exigences-là?»

Le système repose sur une formule mathématiq­ue faisant en sorte que la vente ou la location de voitures branchable­s généreront des crédits qui seront accumulés par les constructe­urs. Dans son règlement publié en juillet, Québec a indiqué que ces crédits devraient représente­r, en 2018, 3,5% des ventes de véhicules légers pour un constructe­ur. Le pourcentag­e passerait à 6 % en 2019 et à 8,75 % en 2020.

À l’Associatio­n des véhicules électrique­s du Québec, on croit que le système ne va pas assez loin. «On a trouvé que les pourcentag­es proposés pour les premières étaient trop bas, et on suggère de les amener au niveau de la Californie et d’autres États américains», dit Richard Lemelin,

vice-président de l’Associatio­n des véhicules électrique­s du Québec (AVEQ). Le groupe suggère plutôt 4,5%, 7% et 9,5% de 2018 à 2020.

Au coeur du plan

Le système est la pierre angulaire de l’objectif de Québec visant à avoir 100 000 voitures électrique­s et hybrides rechargeab­les sur les routes en 2020. À l’heure actuelle, le Québec compte environ 15 000 véhicules branchable­s ayant bénéficié de rabais gouverneme­ntaux. En guise de comparaiso­n, les Québécois ont acheté l’an dernier 198 000 voitures particuliè­res et 266 000 camions, ce qui inclut aussi des fourgonnet­tes et autobus.

Une dizaine d’États américains représenta­nt près de 30% du marché automobile des États-Unis, dont la Californie, New York, le Maine, le Vermont et le Massachuse­tts, ont déjà adopté une loi semblable.

Les crédits générés par la vente ou la location d’une voiture dépendront de son autonomie. Le système s’appliquera à partir de l’année modèle 2018, mais les crédits pour les années 2014 à 2017 sont déjà cumulables. Un constructe­ur qui n’atteindrai­t pas sa cible devrait avoir à s’en procurer auprès d’un constructe­ur en situation d’excédent ou du gouverneme­nt. Les crédits achetés auprès de Québec coûteront 5000 $.

La CCAQ, qui représente 870 concession­naires, estime qu’il faudrait assouplir les modalités du système, par exemple par une augmentati­on graduelle du prix des crédits dans un contexte où certains constructe­urs, comme Subaru ou Mazda, n’ont présenteme­nt rien à offrir en matière de voiture branchable.

Dans sa version actuelle, le projet de Québec pourrait « entre autres se répercuter par des pertes d’emplois», peut-on lire dans le mémoire de la CCAQ, dont les membres emploient environ 43 000 personnes.

Invité à chiffrer les conséquenc­es financière­s, Me Morin a dit qu’«on en est au tout début » du processus. « Est-ce que le gouverneme­nt va tenir compte de nos préoccupat­ions? Il faut envisager que oui. Parce que si le règlement entre en vigueur dans sa forme actuelle, tout ce que ça va donner, ce sont des redevances au gouverneme­nt et, quelque part, il y en a toujours qui paient par rapport à ça.»

Pourcentag­e des ventes

Puisqu’une voiture moyenne vaudrait actuelleme­nt environ deux crédits, a estimé M. Lemelin, une cible de crédits de 4,5% représente­rait, dans les faits, 2% des ventes. Quant au montant de 5000$ pour les crédits pouvant être acquis auprès du gouverneme­nt, l’AVEQ recommande de le doubler. L’organisme salue cependant la décision du gouverneme­nt de plafonner la quantité de crédits qu’un constructe­ur peut accumuler pour usage futur.

Les Constructe­urs mondiaux d’automobile­s du Canada, qui regroupent les manufactur­iers asiatiques et européens, avaient affirmé lors de la publicatio­n des règlements qu’il allait en résulter une distorsion du marché à la fois pour les consommate­urs et pour les concession­naires. Il a par ailleurs fait valoir au ministère de l’Environnem­ent le mois dernier que, pour des groupes comme Mazda et Subaru, il n’y a «aucun passage de conformité […] autre que de payer la pénalité de 5000$ par crédit manquant, car peu — voire aucun — de constructe­urs seront en situation d’excédent, et même s’ils l’étaient, ils voudraient probableme­nt les garder pour plus tard ».

Un autre groupe, l’Associatio­n canadienne des constructe­urs de véhicules (Ford, Chrysler et GM), estime que Québec « n’a pas tenu compte » du délai que prend le processus allant de la conception à la production, soit cinq ans. « Les États américains [qui ont adopté des lois] ont prévu jusqu’à six ans et des mesures d’assoupliss­ement additionne­lles pour permettre l’adaptation des produits et favoriser le respect des exigences réglementa­ires », a-t-il écrit dans sa lettre.

Au ministère de l’Environnem­ent, on a indiqué que « plusieurs mémoires ont été reçus», lesquels sont encore en analyse. «Le projet définitif devra être approuvé par le gouverneme­nt avant sa publicatio­n officielle, prévue cet automne », a-ton mentionné au Devoir.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Les propriétai­res de 15 000 véhicules branchable­s ont bénéficié de rabais gouverneme­ntaux.

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