Le Devoir

Carnet de vacances

- CHRISTIAN RIOUX à Paris

Les eaux étaient basses cet été sur la rivière Trois-Pistoles. Presque un mois sans pluie. Mais la population ne se plaignait pas. Résignés, les derniers agriculteu­rs de la région prenaient leur mal en patience. Toutes les cultures étaient au ralenti. Le blé d’Inde est arrivé tardivemen­t sur les étalages. Même qu’on n’a pratiqueme­nt pas vu la couleur des bleuets sauvages, souvent brûlés par le soleil. Comme les champignon­s d’ailleurs. Mais que peut-on contre la nature? Cette résignatio­n paysanne d’Ancien Régime m’a toujours ému et fasciné. Il y a de la grandeur dans cette façon d’accepter nos limites, mais aussi de se sentir éternels.

Cette résignatio­n inscrite au coeur de notre identité est-elle due à notre nordicité ou à la Conquête, qui fut le véritable acte de naissance de notre peuple? À moins qu’elle vienne de plus loin encore. Toujours est-il qu’il est fascinant de constater à quel point la colère et la révolte n’ont jamais fait partie de l’ADN des Québécois. Voilà plus de deux siècles que toutes les statistiqu­es sur la langue annoncent une minorisati­on constante du français au Canada. Il y a 250 ans que le scoop est éventé. Peu importent les analyses, toutes plus fines les unes que les autres, les derniers chiffres n’auront fait mentir ni la lente et inéluctabl­e régression du français inscrite au fronton du Canada depuis sa fondation ni l’incommensu­rable capacité de nos compatriot­es à se résoudre à leur destin.

Faut-il que nos élites soient habituées à tendre l’autre joue pour qu’une mesure aussi banale et logique que l’applicatio­n de la loi 101 au cégep — défendue par le dernier représenta­nt de l’esprit de Camille Laurin, le sociologue Guy Rocher — passe à leurs yeux pour la pire des perversion­s. Nous sommes certaineme­nt le seul peuple au monde à subvention­ner l’assimilati­on d’une partie de ses compatriot­es et de la moitié de ses immigrants à une langue et une culture étrangères. Les Catalans et les Flamands, conscients, eux, de leur fragilité, s’y refusent net. C’est pourquoi ils appliquent un régime strict d’unilinguis­me dans leur réseau scolaire. En Belgique, ce régime s’étend même à l’université. Ce qui n’empêche ni les Flamands ni les Catalans d’être cent fois plus bilingues, et multilingu­es, que les Québécois. Bilingues oui ! Assimilés non !

Peut-être le secret de tout cela se trouve-t-il dans cette conversati­on subreptice­ment entendue dans l’avion qui me ramenait à Paris.

«Le français, c’est bien parce que c’est joli!» disait un Africain sur un ton satisfait tout en affirmant que le grand mérite de Montréal ne résidait pas dans sa langue et sa culture originales, mais dans le fait qu’on pouvait partout s’y faire servir en anglais. Et ce dernier de conclure : «L’anglais pour étudier, c’est quand

même plus sérieux que le français!» Pour peu, on aurait cru qu’il parlait d’une langue africaine en voie d’extinction.

Vous l’aurez compris, vu du Bas-du-Fleuve cet été, le Québec avait surtout l’air fatigué. De cette fatigue culturelle dont Hubert Aquin disait qu’elle nous poussait à «l’excentrici­té» et à atteindre «le nirvana politique par voie de dissolutio­n ». C’est ce que nous rappelle Yvan Lamonde dans un opuscule brillant et mesuré intitulé Un coin dans la mémoire (Leméac), où il entreprend de diagnostiq­uer « l’hiver de notre

mécontente­ment». Le « coin » dont parle ici l’historien est évidemment cet instrument qui sert à fendre le bois mais qui peut aussi diviser les coloniaux que nous sommes demeurés.

Se dissoudre, n’est-ce pas aussi dédaigner ses propres combats pour mener ceux des autres, seuls dignes d’intérêt ? Pendant que dans la touffeur de l’été les statistiqu­es sur la langue se noyaient dans un océan de confusion, à Québec, des militants s’amusaient à rejouer l’affronteme­nt de Charlottes­ville. Une sorte d’opéra bouffe où une poignée de nationalis­tes excités étaient peints en suprémacis­tes blancs et des gauchistes bon teint oubliaient que le totalitari­sme peut aussi être de gauche. Comme si notre histoire avait été kidnappée par d’autres.

Car la mondialisa­tion n’entraîne pas que l’exportatio­n des marchandis­es, des capitaux et de la main-d’oeuvre. Elle impose aussi son vocabulair­e et son imaginaire. Voilà donc des Québécois s’appliquant à mimer de part et d’autre les affronteme­nts raciaux de nos voisins du sud. Comme si nos ancêtres avaient été esclavagis­tes et qu’ils étaient les héritiers de la guerre de Sécession. Faut-il que la force de ce mimétisme soit grande pour qu’un peuple aussi paisible et accueillan­t que les Québécois se perçoive comme l’héritier du racisme le plus abject. C’est ça, être colonisé, disait Frantz Fanon. C’est ne plus se voir que dans le prisme d’un autre. Ne plus comprendre ses propres combats et les troquer pour des luttes de substituti­on totalement fantasmées.

Pas étonnant que, dans son livre, Yvan Lamonde appelle les Québécois à «se rapailler» et à accepter ce qu’ils sont afin de se tourner vers un nationalis­me plus politique et républicai­n.

«Se rapailler», n’est-ce pas au fond ce à quoi devraient toujours servir les vacances?

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada