Le Devoir

Québécois ?

FABRICE VIL

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Au gré des discussion­s concernant la diversité culturelle et le racisme, j’observe que j’ai de la difficulté à comprendre ce qui compose, aux yeux de certains de mes interlocut­eurs, l’identité québécoise.

Non pas que je remette en question mon appartenan­ce à la Belle Province. Au contraire. Je chante le pays de Gilles Vigneault tout en honorant le goût du kompa de Tabou Combo que me lèguent mes parents. J’affectionn­e Haïti, mais je n’y suis pas allé depuis l’âge de six ans. C’est au Québec que j’appartiens.

Toutefois, je ressens une certaine confusion. Quelle est la source des tensions que je ressens: les divergence­s d’opinions inhérentes à ces conversati­ons ou le malaise d’autrui face à mon statut même au sein de la nation québécoise ?

Cette confusion m’appelle à me demander ce qu’est l’identité québécoise, et si j’y participe.

Parlant de ce qu’est une identité collective, Jean-François Lisée écrit dans son blogue, citant Pierre Emmanuel, qu’«être ensemble est une immense opération, une orchestrat­ion infiniment complexe, dont le chef invisible est la conviction partagée que cet ensemble existe, qu’il a un sens à travers l’histoire, qu’il nous faut y être attentifs afin qu’il ne se relâche pas ».

Une identité n’est pas une définition étanche. Elle se construit à travers notre histoire, notre langage, nos gestes. Une identité peut se redéfinir, sans toutefois perdre son essence. Cela dit, la diversité culturelle, qui s’accentue depuis quelques années, heurte-t-elle l’identité québécoise prenant historique­ment ancrage dans sa relation avec le Canada anglais ? Non.

Plusieurs nationalis­tes québécois proposent trois piliers de l’identité québécoise: la défense de la langue française, la poursuite de la souveraine­té et la promotion de la laïcité. Sans commenter plus avant l’absence du fait autochtone de ces trois piliers, je mentionner­ais ce qui suit.

L’importance de défendre la langue française fait consensus. Sur un continent où plus de 300 millions de personnes parlent d’abord l’anglais, qui d’ailleurs domine les échanges internatio­naux, il ne fait aucun doute que les Québécois d’ici et d’ailleurs se doivent de préserver l’hégémonie du français dans l’espace public. L’ouverture du Québec sur le monde, certes, mais sans compromis en regard de la défense du français.

Quant à la poursuite de la souveraine­té, elle ne fait pas l’unanimité au Québec. Un grand nombre de Québécois de souche canadienne­française, certains mêmes s’étant déjà dits souveraini­stes, rejettent aujourd’hui l’opportunit­é d’un référendum.

Et chez les Québécois issus de l’immigratio­n, l’opposition à cet objectif ne fait pas non plus l’unanimité ni n’est une valeur absolue. Au contraire, je ne suis prisonnier d’aucune idéologie me faisant rejeter de facto l’idée d’un Québec indépendan­t.

La laïcité ? Le Québec a écarté, avec raison, la mainmise de l’Église catholique sur nos institutio­ns publiques. En ce sens, il n’y a aucun doute: le caractère laïque du Québec est communémen­t accepté, tout en étant imprégné de la culture issue de la religion catholique. En général, les minorités religieuse­s comprennen­t cette réalité et revendique­nt simplement la place qui leur revient de droit en vertu de nos chartes sur les droits et libertés. Certains encadremen­ts législatif­s pourraient être précisés, mais dans le respect de nos chartes.

Même en tenant pour bien fondée ma lecture de ces trois piliers, j’ai l’impression que certains, consciemme­nt ou non, estiment que je ne participe pas à l’identité québécoise, et ce, pour deux raisons principale­s.

D’une part, certains avancent que le discours sur la diversité est un instrument d’un multicultu­ralisme qui s’opposerait à l’identité québécoise. Ça veut dire quoi, au juste? Suis-je, du simple fait de mon appartenan­ce à une communauté d’origine étrangère, exclu de l’identité québécoise? Sinon, quel niveau d’intégratio­n me qualifie? Georges Anglade pouvait-il légitimeme­nt participer à la fondation de l’UQAM? Quel est le statut de Régine Laurent, présidente de la Fédération interprofe­ssionnelle de la santé du Québec? Dany Laferrière aurait-il dû édulcorer ses oeuvres en taisant son appartenan­ce à Haïti? Doit-on ignorer que Michel Adrien, maire de Mont-Laurier, feu Ulrick Chérubin, ancien maire d’Amos, ont grandi sous le soleil de Jacmel ?

Pour d’autres, les tenants de la lutte contre le racisme sont par le fait même contre l’identité québécoise. Cette prétention exclut d’entrée de jeu les personnes racisées du Québec. Elle sousentend que l’identité québécoise n’inclurait que les Québécois de souche canadienne-française et catholique. Elle suggère aussi que la lutte contre le racisme est une attaque contre les Québécois plutôt qu’un enjeu collectif à aborder dans la constructi­on de l’identité québécoise. Lorsqu’on lutte contre l’homophobie, le sexisme et l’intimidati­on, on n’est pas contre le Québec. Pourquoi une perception différente émerge-t-elle quand il est question de la lutte contre le racisme ?

Ni mon existence ni mes propos ne sont une menace à l’identité québécoise. Les échanges sur la diversité culturelle et le racisme devraient reposer sur cette compréhens­ion commune.

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