Maîtres et valets masala
Gurinder Chadha offre une vision romantique et naïve de la partition des Indes
LE DERNIER VICE-ROI DES INDES (V.F. VICEROY’S HOUSE)
Drame historique de Gurinder Chadha. Avec Hugh Bonneville, Gillian Anderson, Manish Dayal, Huma Qureshi, Michael Gambon. Grande-Bretagne, Inde, 2017, 106 minutes.
En 1947, le Raj britannique, ou régime colonial, prit fin en Inde après trois siècles. S’ensuivit une partition catastrophique (14 millions de déplacés et un million de morts) qui donna naissance au dominion de l’Inde et à celui du Pakistan. En amont, de vives tensions entre hindous, musulmans et sikhs compliquèrent l’opération. Nommé par la Couronne pour la représenter dans ce qui était alors encore «les Indes», le vice-roi Louis Mountbatten reçut la délicate tâche de négocier une transition aussi stable que possible. C’est, officiellement, le sujet du film Le dernier vice-roi des Indes, qui s’avère toutefois plus intéressé par les vicissitudes domestiques et sentimentales au sein de la maisonnée Mountbatten.
À la décharge du film, notons que le titre original anglais, Viceroy’s House, est plus clair, en cela qu’il renvoie explicitement à l’édifice monarchique et à tout ce qui y a cours. Comme dans Downton Abbey, on partage le quotidien des maîtres et des valets, selon que l’on se trouve dans les parties supérieures ou inférieures de Rashtrapati Bhavan, la résidence officielle du vice-roi.
Impossible, à cet égard, de ne pas penser à la série à succès puisque le rôle principal de lord Mountbatten est tenu par Hugh Bonneville, acteur ayant incarné le patriarche Robert Crawley, comte de Grantham, dans Downton Abbey.
D’ailleurs, Bonneville, comédien sympathique s’il en est (Notting Hill, Paddington), se borne ici à rejouer peu ou prou la même partition: cet Anglais fier et fiable, flegmatique quoique non dénué d’humour, intelligent, mais parfois aveuglé par ses nobles principes.
Velléités révisionnistes
Un aveuglement qui confine à la naïveté pure lors d’une scène pivot du film. Il faut en effet voir lord Mountbatten tomber des nues lorsqu’il réalise qu’en dessinant les nouvelles frontières, l’Empire britannique a surtout veillé à maintenir son accès aux ressources pétrolières du MoyenOrient tout en tenant les Russes à distance.
Cette scène, pour le compte, fut vertement critiquée lors de la sortie du film en Angleterre. Le biographe de Winston Churchill, Andrew Roberts, s’insurgea contre ce qu’il qualifia de «théorie du complot» visant surtout, selon lui, à laver la réputation de lord Mountbatten, grand-oncle du prince Charles.
Ce dernier est en l’occurrence celui qui a suggéré à la réalisatrice Gurinder Chadha (Coup de foudre à Bollywood) la lecture du livre The Shadow of the Great Game, de Narendra Singh, maharaja et aide de camp de Mountbatten, un ouvrage méconnu qui dépeint lord Mountbatten non pas comme l’architecte d’un désastre, mais comme une victime des circonstances. Une thèse que défend résolument la cinéaste, dont la grand-mère fut du nombre des déplacés.
Que l’on adhère ou non à ses velléités révisionnistes, il reste que les coulisses de cette coproduction opulente et superficielle sont plus intéressantes que le film proprement dit. L’accent placé sur une histoire d’amour mièvre, très Roméo et Juliette, entre le serviteur personnel de lord Mountbatten et l’assistante de sa fille, n’arrange rien.
Gillian Anderson habitée
Le reste du temps, c’est-àdire lorsque lord Mountbatten n’est pas occupé à remplir son mandat avec l’application d’un écolier, on assiste à des joutes matrimoniales convenues avec son épouse lady Edwina Mountbatten.
À l’instar de Cora Crawley, la comtesse de Grantham dans Downton Abbey, lady Mountbatten agit dans le film comme la confidente et la sage conseillère de son mari. Dotée d’un jugement sans faille et d’un sens de la diplomatie plus aiguisé encore, elle est, et de loin, le personnage le plus intéressant du film.
Sans doute l’interprétation habitée de Gillian Anderson (X-Files, The Fall, Hannibal) y est-elle pour quelque chose, car sur papier le rôle manque de nuances. De fait, lady Mountbatten se révèle dénuée du moindre défaut. Qu’à cela ne tienne, Anderson lui confère une profondeur, une humanité, qu’on cherche en vain chez ses partenaires.
Il en résulte un film plein de couleurs et de soleil, de déchirements et de bons sentiments, entre sincérité et vacuité.