Le Devoir

› Haïtiens expulsés.

Le Canada a renvoyé dans leur pays 439 Haïtiens depuis le début de l’année.

- SARAH R. CHAMPAGNE

L’Agence des services frontalier­s du Canada (ASFC) a renvoyé 439 ressortiss­ants d’Haïti depuis le début de l’année. De ce nombre, 296 ont dû quitter le pays depuis la levée du dernier sursis aux renvois le 16 mars dernier.

Alors que des milliers d’Haïtiens ont franchi la frontière pour demander l’asile dans les derniers mois, des personnes installées depuis plusieurs années risquent encore l’expulsion.

La fin d’un moratoire qui équivaut à la levée des mesures de protection temporaire aux États-Unis, pense Frantz André, porte-parole du Comité d’action des personnes sans statut. Le nombre de personnes touchées est certes moindre, mais l’angoisse, elle, est tout aussi grande.

Il donne l’exemple de sa collègue Claire Fatima Oriol, qui a pris régulièrem­ent la parole au nom du Comité au cours des dernières années. Sa demande d’asile a été refusée le 23 décembre 2016 et elle a donc déposé une demande d’examen des risques avant renvoi, dans l’espoir de pouvoir rester encore au pays. Mme Oriol est préposée aux bénéficiai­res.

«Elle est en attente, comme aux États-Unis dans le couloir de la mort. Elle sait qu’elle risque de devoir repartir», illustre M. André.

Historique des mesures

Les ressortiss­ants haïtiens n’étaient plus expulsés du Canada depuis 2004, sauf les criminels, à cause de deux mesures successive­s prises par le Canada. Une suspension temporaire des renvois a d’abord été en vigueur de 2004 à 2014. Il s’agit d’une mesure du ministre de la Sécurité publique qui interrompt les renvois de demandeurs d’asile déboutés, par exemple, ou des personnes «interdites de territoire » vers un pays présentant un risque généralisé, comme des troubles civils. Seules les personnes ayant un dossier criminel sont alors expulsées.

Ce moratoire avait été instauré à la suite d’une flambée de violence survenue après le coup d’État contre Jean-Bertrand Aristide, le 29 février 2004. Avant sa levée, les ressortiss­ants haïtiens étaient invités à déposer une demande de résidence permanente pour motifs humanitair­es, notamment à travers un formulaire simplifié.

Cette suspension avait ensuite été prolongée par un autre sursis, cette fois administra­tif, de décembre 2014 jusqu’au 4 août 2016, pour permettre de présenter une demande de résidence permanente. Ce sursis a été remis en vigueur encore une fois après l’ouragan Matthew, c’est-à-dire du 13 octobre 2016 jusqu’au 16 mars 2017.

Cette mesure permettait néanmoins le renvoi de certains Haïtiens, ce qui explique que 143 d’entre eux ont été expulsés alors que le sursis était encore en vigueur entre le 1er janvier et le 16 mars 2017, en majorité vers les ÉtatsUnis, a expliqué une porte-parole de l’ASFC.

Mauvais conseils

Frantz André n’est par ailleurs pas surpris par le nombre de renvois, puisqu’il s’agit en quelque sorte d’une accumulati­on de cas où l’asile ou la résidence permanente a été refusé à des Haïtiens au cours des dernières années. «On ne sait pas exactement qui sont ces personnes et on refuse de nous informer au ministère», déplore-t-il.

Plusieurs de ces personnes ont été victimes de mauvais conseiller­s en immigratio­n, «qui n’ont pas fait appel pour leurs clients, par exemple, alors que ceux-ci avaient cette possibilit­é », a expliqué au Devoir il y a quelques semaines Marjorie Villefranc­he, directrice de la Maison d’Haïti. Elle disait aussi être inquiète pour les demandeurs d’asile actuels, certains ayant affaire à ces mauvais conseiller­s.

M. André dit quant à lui craindre que ces renvois soient instrument­alisés politiquem­ent, «pour montrer que le Canada n’est pas une passoire ».

 ?? RYAN REMIORZ LA PRESSE CANADIENNE ?? Des membres du Comité d’action des personnes sans statut manifestai­ent, en mai 2015, contre la fin du moratoire sur les renvois des ressortiss­ants haïtiens.
RYAN REMIORZ LA PRESSE CANADIENNE Des membres du Comité d’action des personnes sans statut manifestai­ent, en mai 2015, contre la fin du moratoire sur les renvois des ressortiss­ants haïtiens.

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