Lire aussi › Une mission à poursuivre. L’éditorial de Manon Cornellier.
La création de la Commission d’enquête sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées a suscité des espoirs démesurés dès sa création l’an dernier. Sa première année de travaux a toutefois été très difficile. Lente à trouver son élan, elle a été abreuvée de critiques auxquelles les commissaires ont seulement répondu en évoquant des problèmes de communication et de transparence.
Quand on écoute la commissaire Michèle Audette relater les hauts et les bas de la Commission, on comprend que cette explication n’est ni une esquive ni un prétexte. Des problèmes, les commissaires en ont eu de tous genres. Leur silence sur le sujet a toutefois laissé le champ libre à l’incompréhension et aux critiques, certaines politiquement intéressées, d’autres inspirées par une réelle inquiétude de voir l’enquête dérailler. Cet été, après son passage à la réunion annuelle de l’Assemblée des Premières Nations, Mme Audette a promis davantage de transparence et d’explications. En entrevue au Devoir vendredi, elle a tenu parole, une parole libérée d’une réserve inutile qui a empêché de lever le voile sur ces freins bureaucratiques, les démissions et les difficultés internes.
À cause des exigences administratives fédérales, il a fallu des mois pour avoir des locaux, des meubles, des ordinateurs et l’accès à Internet. Le recrutement du personnel en a aussi été affecté. Chacun a dû travailler sur sa table de cuisine pendant des semaines, tout en poussant plus loin la réflexion sur le processus d’enquête, une cible de leurs détracteurs. Mme Audette reconnaît, comme l’ont dit certains dans les rangs autochtones, que ce processus a un fond colonial puisque la Commission a été créée par le gouvernement, en vertu d’une loi fédérale et avec un mandat entériné par Ottawa, les provinces et les territoires. Pour pallier ce problème, les commissaires ont cherché un moyen d’y arrimer des pratiques autochtones dans leurs relations avec les familles et les survivantes. Mais cela ne fut jamais dit sur la place publique.
Le mandat, qui ne prévoit pas la reprise des enquêtes policières, mais permet de le recommander, a été mal compris et la Commission doit en porter le blâme. Elle ne l’a que peu ou pas expliqué.
La composition de la Commission a aussi ralenti le rythme. À part Mme Audette, aucun des commissaires, juristes de profession, n’avait d’expérience de terrain ou de communication avec le public et les familles. Il leur a fallu du temps pour s’ajuster et comprendre qu’il valait mieux faire preuve de transparence que de se taire, comme ils l’ont fait, sur les problèmes administratifs ou les raisons des sept départs survenus depuis un an. En fait, l’un d’eux, celui d’une mère de jeunes enfants, s’est transformé en mutation vers un poste moins lourd.
La démission qui a visiblement fait le plus mal demeure celle en juillet de la commissaire Marilyn Poitras, la seule Métis du groupe. Elle a ouvertement critiqué le processus, mais selon Mme Audette, son départ n’a pas surpris et a même permis d’accélérer le pas. Mme Poitras aurait été souvent absente au cours des deux derniers mois, ce qui avait un effet paralysant, la Commission ayant choisi au départ de prendre ses décisions par consensus.
Cet été, plusieurs ont demandé qu’on relance la Commission sur de nouvelles bases, et même de tout reprendre à zéro. Ce serait faire fausse route. Le pire semble derrière elle et, en plus, cette commission détient un mandat unique, tous les gouvernements — fédéral, provinciaux et territoriaux — lui ayant donné l’autorisation de fouiller dans leurs affaires. Rien ne garantit qu’ils soient prêts à reprendre l’exercice.
La Commission met actuellement les bouchées doubles et doit continuer son travail. Les commissaires doivent toutefois retenir la leçon. Ils doivent rendre des comptes sur une base continue.
De son côté, le gouvernement doit ouvrir les yeux. Deux ans ne peuvent suffire pour faire la lumière sur cette violence contre les femmes autochtones à l’extérieur et à l’intérieur des réserves, analyser les méthodes policières et le travail des institutions, y compris autochtones, et explorer les racines de cette tragédie. Il doit, lui qui est en grande partie responsable des embûches bureaucratiques, accorder la prolongation que la Commission demandera dans son rapport provisoire, au début de novembre. Ce drame est trop grave et ancien pour qu’on escamote le travail.