Le Devoir

Le don de soi, initiative citoyenne

Dans les centres d’hébergemen­t et au-delà, l’aide aux arrivants repose aussi sur des actions spontanées

- LISA-MARIE GERVAIS

«J’ai peur qu’on oublie les migrants. Mais c’est maintenant que ça commence.» Ce cri du coeur de Cynthia Nelson résonne sur les murs de béton de l’entrepôt où elle vient presque tous les soirs depuis un mois. Car c’est ici, au 9e étage désaffecté d’un édifice près de l’autoroute métropolit­aine, qu’elle et ses amis bénévoles font le tri de vêtements, de produits d’hygiène, de meubles et d’autres dons pour les Haïtiens demandeurs d’asile, qui commencent néanmoins à être moins nombreux à arriver à la frontière. «D’ailleurs, il faut souvent se dépêcher pour pouvoir trier avant que le soleil se couche!»

Comme beaucoup d’autres Québécois, Cynthia Nelson fait partie de ceux qui ont mis sur pied des initiative­s spontanées pour répondre à l’urgence, devant l’afflux de demandeurs d’asile arrivant à Lacolle. De simples citoyens aux commandes de petites opérations de dons qui, sans remplacer les efforts coordonnés des autorités, ont souvent eu un effet important. En plus des groupes Facebook existants, qui retrouvent un second souffle après la vague des réfugiés syriens, d’autres, parfois hyperlocau­x, se sont créés pour la cause.

«J’étais en vacances à New York, à Brooklyn, et je voyais les reportages qui parlaient de ces migrants qui s’en allaient au Canada par batch de 200300. Je me disais “mais que se passe-t-il ?”, raconte cette directrice adjointe d’une école secondaire de Lachine. Je suis moi-même fille d’immigrants haïtiens. J’ai eu envie d’être solidaire de la communauté.»

C’était le 6 août. Avec sa cousine, elle a commencé à mobiliser son entourage autour du groupe Facebook «Opération: Dons pour les migrants haïtiens». En moins de deux, elle a formé un petit comité de six personnes, trouvé un endroit pour entreposer les dons, gérer les donateurs et les bénévoles qui sont venus offrir leur aide. «Certains disent qu’une collecte de dons, c’est un peu comme une business. Mais moi, je ne connaissai­s rien là-dedans, c’était la première fois que je faisais ça, lance-t-elle. À ma grande surprise, ça a fonctionné!»

En trois semaines, c’est une équipe d’une soixantain­e de bénévoles qui était à pied d’oeuvre pour la cause. « Et ce n’était pas juste les Haïtiens. Il y a eu des Québécois d’ici. Quand on parle de la Meute et de ces groupes-là, ce n’est pas vrai que les Québécois ne veulent rien savoir. On a aussi eu des dons de la communauté italienne. Il y en a qui comprennen­t que même si [les Haïtiens] sont entrés de manière irrégulièr­e, ils ont besoin d’aide. »

Geste spontané

Ça s’est passé aussi vite pour Eve-Lyne Cuggia et sa bande. La jeune entreprene­ure avait eu vent de l’arrivée des migrants au Stade olympique via un ami bénévole et a eu envie d’aider. Au téléphone, la Croix-Rouge lui proposait d’abord de suivre une formation se donnant en septembre. «Mais c’était maintenant que je voulais aider!» Au fil de ses contacts, elle s’est présentée spontanéme­nt à un groupe d’aide et a pu obtenir la liste des divers centres d’hébergemen­t. Sans faire partie d’aucun organisme, elle s’est installée dans le local vacant du PRAIDA (Programme régional d’accueil des immigrants et demandeurs d’asile) à l’UQAM, et Réfugiés Montréal a été créé.

Après un appel à tous sur Facebook, le local est devenu trop plein. Les dons ont donc été détournés dans les locaux vides d’une garderie, puis dans un local du centre d’hébergemen­t de l’ancien hôpital Royal-Victoria, qui a contacté Réfugiés Montréal pour avoir de l’aide. «C’est sûr qu’on a beaucoup dépensé de notre poche, surtout pour le transport des choses, souligne la jeune femme qui a fait beaucoup de voyages humanitair­es, notamment en Afrique. Mais on se dit que si on n’était pas là, c’est sûr que serait plus difficile pour les migrants.»

Au fil des séances de triage de dons, des gens se sont greffés au groupe — qui est passé de 4 à 12 personnes —, et des amitiés se sont soudées. Eve-Lyne s’est même fait un amoureux. «On est devenu une petite famille.» Une petite famille qui partage au quotidien tant les beaux moments que les défis. «Certains nous utilisent comme débarras et on reçoit des souliers ou des chandails troués et sales, poursuit-elle. Une dame nous a envoyé des souliers à talons hauts mangés par son chien ! »

Mais rien pour assombrir le bonheur de pouvoir donner au suivant. «J’ai vu deux petits garçons qui avaient passé la journée devant la porte du local. Ils avaient spotté deux paires de roller blades. La joie que j’ai ressentie quand je les leur ai donnés… Ils ont passé la journée à faire le tour de l’urgence de Royal-Vic, un gros sourire dans le visage!»

Un long chemin

Cynthia Nelson carbure aussi à ces petits moments d’humanité, partagés avec les familles nouvelleme­nt réinstallé­es dans un logement à qui elle va porter des dons. Comme cette femme qui a rigolé de son

«J’étais en vacances à New York, à Brooklyn, et je voyais les reportages qui parlaient de ces migrants qui s’en allaient au Canada par de 200-300. Je me disais “mais que se passe-t-il?”»

accent québécois lorsqu’elle lui parlait en créole. «Si on peut les faire sourire pendant 15-20 minutes, je me dis let’s go.»

Un rire qui fait oublier, ne serait-ce que quelques instants, la montagne de choses à faire lorsqu’il faut tout recommence­r à zéro, sans savoir si on aura un statut légal au final, pense-t-elle. « L’idée c’est juste de les soulager au début, de leur donner la base, du papier de toilette, des couches…, dit Mme Nelson. Je ne suis pas mère Teresa, mais voyant les commentair­es négatifs devant leur entrée irrégulièr­e, je me suis dit que ce serait bien qu’il y ait un groupe à Montréal pour les protéger et les aider. »

Car «ces gens-là» ou «ces invités de M. Trudeau», d’après les expression­s de politicien­s qui l’ont déçue, ne viennent pas ici pour «voler des jobs». «On va continuer à les aider parce que c’est maintenant que ça commence. Et c’est là que je vois que le chemin va être long pour eux. » L’hiver s’en vient, elle a d’ailleurs déjà des plans pour la suite. «J’aimerais ça leur apprendre à faire du patin. Le hockey, c’est notre sport. Je vais essayer de m’occuper de ça.»

 ?? PEDRO RUIZ LE DEVOIR ?? Cynthia Nelson a mis sur pied un projet de collecte de dons pour les demandeurs d’asile haïtiens, dans un entrepôt vide.
PEDRO RUIZ LE DEVOIR Cynthia Nelson a mis sur pied un projet de collecte de dons pour les demandeurs d’asile haïtiens, dans un entrepôt vide.

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