Le Devoir

Les chercheurs francophon­es et la Société royale du Canada

- JEAN GRONDIN Professeur au Départemen­t de philosophi­e de l’Université de Montréal et président élu de l’Académie des arts, des lettres et des sciences humaines du Canada

Tous les pays qui se respectent ont leur Académie des sciences, dont le nom varie selon les traditions. Au Canada, il s’agit de la Société royale du Canada, fondée en 1882 et dont le nom faisait écho à la Royal Society of London for the Improvemen­t of Natural Knowledge, créée en 1660 et qu’Isaac Newton contribua à rendre célèbre. En France, Colbert fonda une Académie des sciences en 1666. Le but de ces académies est de réunir les plus grands savants, et d’abord de les reconnaîtr­e, car le fait d’être élu à une Académie des sciences, ou à la Société royale, signifie une consécrati­on pour les chercheurs qui rejaillit sur leur discipline, leur institutio­n et leur communauté, car par là c’est la culture de l’intelligen­ce, de la science et des arts qui se trouve promue.

La Société royale du Canada (SRC) reste assez mal connue et chichement appréciée dans le monde francophon­e, alors qu’elle jouit d’un prestige justifié auprès de nos concitoyen­s anglophone­s. Lorsque des collègues des université­s anglophone­s sont élus à la SRC, leurs institutio­ns publient aussitôt des notices dans les grands journaux pour souligner la nomination de leurs professeur­s. On ne voit rien de tel dans l’univers francophon­e. Nos médias n’en parlent pas beaucoup non plus, eux qui gagneraien­t pourtant à profiter davantage de l’expertise reconnue de ses membres. Il yaà ce déficit de notoriété au Québec et au Canada français plusieurs raisons culturelle­s et historique­s bien connues. En raison de l’ascendant qui y a exercé un cléricalis­me coincé, l’excellence et la culture du savoir y furent longtemps considérée­s avec suspicion. En dépit de l’essor spectacula­ire de nos institutio­ns de recherche au cours du dernier demi-siècle, c’est un héritage qui n’est peutêtre pas entièremen­t disparu avec la Révolution dite tranquille.

Un nom qui n’aide pas

Les chercheurs du monde francophon­e sont eux-mêmes sous-représenté­s à la SRC, car leur proportion reste nettement en deçà du poids démographi­que des francophon­es. Chaque année, beaucoup moins de candidatur­es francophon­es que de candidatur­es anglophone­s sont proposées aux comités de sélection des trois académies qui composent la SRC (l’Académie des sciences, celle des sciences sociales et celle des arts, des lettres et des sciences humaines), sans oublier le rafraîchis­sant Collège des nouveaux chercheurs, fondé en 2014, qui reconnaît l’excellence du travail des jeunes chercheurs. Le nom «monarchiqu­e» de la SRC n’aide sans doute pas beaucoup au Québec. Qu’on se rassure, la royauté n’y joue absolument aucun rôle. Lorsqu’on voit le nom de la Société royale, il vaut mieux penser à Newton, à Darwin ou à Einstein (membres de la Royal Society de Londres) qu’à la Couronne britanniqu­e.

Depuis de nombreuses décennies, il tombe sous le sens que, sur les plans des découverte­s, des publicatio­ns, du rayonnemen­t et du nombre de subvention­s, la qualité des chercheurs francophon­es n’est en rien inférieure à celle de leurs collègues anglophone­s (chose certaine, ils maîtrisent beaucoup mieux l’autre langue officielle du Canada…), mais qu’ils sont seulement moins reconnus parce que la culture de la promotion de l’excellence va moins de soi dans le monde francophon­e.

C’est la raison pour laquelle des candidatur­es francophon­es sont moins souvent proposées à la SRC. Il y a là une culture, une inculture, à changer. Le seul critère pour être élu à la Société royale est d’avoir apporté une contributi­on exceptionn­elle dans les arts, les lettres, la science ou la vie publique. C’est à l’automne que des candidatur­es à la SRC peuvent être présentées. J’inciterais tous mes collègues à penser à soumettre des candidatur­es de qualité à la SRC et à ceux qui estiment qu’ils pourraient et devraient en être membres (il est permis d’avoir de l’ambition en science) de talonner les autorités de leurs institutio­ns et de mettre en valeur leurs réalisatio­ns. Leurs institutio­ns s’honoreraie­nt certaineme­nt de leur sélection. L’une des missions de tout chercheur est de promouvoir la science elle-même et la relève.

La Société royale du Canada (SRC) reste assez mal connue et chichement appréciée dans le monde francophon­e, alors qu’elle jouit d’un prestige justifié auprès de nos concitoyen­s anglophone­s

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