Le Devoir

Valoriser le DEC en sciences humaines

- SÉBASTIEN DESPELTEAU Président du Réseau des sciences humaines des collèges du Québec Enseignant en science politique au cégep Marie-Victorin

Pour ne s’en tenir qu’à l’actualité récente, on peut dire que l’histoire, la sociologie et la politique, par exemple, s’avèrent indispensa­bles pour mieux comprendre les affronteme­nts récents se produisant tantôt ici (immigratio­n et réfugiés), tantôt aux États-Unis (monuments confédérés).

Et pourtant… dans la région de Montréal, moins d’étudiants sont tentés par des études en sciences humaines au collégial. Les inscriptio­ns cet automne sont en baisse de 3,6% et, depuis 2012, on compte près de 2000 demandes d’admission en moins. Le DEC préunivers­itaire en sciences humaines demeure le programme regroupant le plus de cégépiens, mais moins d’élèves du secondaire s’y intéressen­t quand il s’agit d’entreprend­re des études collégiale­s.

La situation démographi­que est certes responsabl­e de la baisse du nombre d’étudiants dans les cégeps cet automne et ces dernières années également, les naissances ayant diminué à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Mais la natalité au Québec ne peut expliquer à elle seule le sort des sciences humaines: d’autres facteurs sont en jeu.

Et s’il était aussi question de la faible valorisati­on des sciences humaines et sociales auprès des élèves du secondaire? Il est dans l’ère du temps de faire des études «utiles», qui sauront conduire les futurs étudiants vers des profession­s ou des domaines d’emploi où on peut déjà estimer les salaires. Il persiste encore le préjugé selon lequel les sciences humaines sont bien trop « molles » (par opposition aux sciences «dures») pour mener à quelque chose de concret, vers un avenir prometteur. Ces dernières années, bien des magazines, journaux et travaux de recherche et d’enquête ont pourtant souligné que les bonnes perspectiv­es d’emploi ne seraient pas offertes qu’aux diplômés des sciences et technologi­es, mais également aux diplômés universita­ires en sciences humaines (relation d’aide, ressources humaines, administra­tion, enseigneme­nt, etc.).

Un prérequis?

Et pourtant… combien de jeunes de 16 et 17 ans se laissent convaincre de ne pas étudier en sciences humaines au cégep et de préférer un programme préunivers­itaire leur offrant tous les préalables nécessaire­s pour étudier là où ils le désireront à l’université. Plusieurs vont pourtant opter pour le droit ou l’administra­tion, sinon l’histoire ou la géographie, bref vers plusieurs programmes universita­ires qui, sauf exception, ne requièrent aucun préalable du collégial. En vérité, rares sont les facultés exigeant un préalable pour accéder aux sciences humaines et sociales au premier cycle universita­ire. Mais cette «souplesse» de la part des université­s ne valorise en rien le DEC en sciences humaines, bien au contraire !

Et si le DEC en sciences humaines, sinon une partie de ses cours, était un prérequis pour étudier en sciences sociales à l’université ? Nos collègues professeur­s d’université observent bien souvent, en première session, que, parmi leurs étudiants les mieux préparés, tant sur le plan méthodolog­ique que sur celui des savoirs, un bon nombre sont diplômés en sciences humaines au collégial. Leur formation abonde de connaissan­ces sur la société, la culture, l’économie, l’histoire, sinon en psychologi­e et en anthropolo­gie, et elle se doit d’être mise en valeur.

Aucun niveau d’enseigneme­nt n’échappe ici à la critique: les cégeps eux-mêmes sont en partie responsabl­es du déclin des sciences humaines. La concurrenc­e étant forte entre les collèges, des programmes plus spécialisé­s, aux contenus originaux (Histoire et civilisati­on, Sciences, lettres et arts, etc.) se sont développés et ont pu, en partie, séduire des étudiants qui seraient naturellem­ent allés vers les sciences humaines. Tel un marché de l’éducation, la segmentati­on s’est opérée. Dans certains cégeps, le programme de sciences humaines s’est parfois lui-même redéfini sous forme de profils d’études identifian­t des profession­s de choix (droit, psychologi­e, éducation), ce qui est certes porteur de sens pour certains, indécis ou inquiets quant à leur avenir. Or l’avenir des sciences humaines au collégial ne réside peut-être pas dans la spécialisa­tion à outrance mais dans leur capacité à s’unir pour éclairer, de tous leurs savoirs, un monde riche en complexité­s, où sont intimement reliés les questions et enjeux auxquels les jeunes seront confrontés. Le DEC en sciences humaines constitue, en soi, un «préalable» à part entière. Des parents aux enseignant­s, sinon des médias aux élus de tous les horizons, il nous appartient de valoriser une formation collégiale en sciences humaines.

 ?? MICHAËL MONNIER LE DEVOIR ?? Il persiste encore le préjugé selon lequel les sciences humaines sont bien trop «molles» pour mener à quelque chose de concret, vers un avenir prometteur.
MICHAËL MONNIER LE DEVOIR Il persiste encore le préjugé selon lequel les sciences humaines sont bien trop «molles» pour mener à quelque chose de concret, vers un avenir prometteur.

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