Le Devoir

La réforme fiscale de tous les dangers

- GÉRARD BÉRUBÉ

Elles sont désormais 42 associatio­ns à composer la Coalition pour l’équité fiscale envers les PME. Une coalition qui s’oppose aux nouvelles propositio­ns d’Ottawa visant à mettre un terme à certaines échappatoi­res ciblées. Des modificati­ons qualifiées par certains de plus marquantes en matière d’imposition des sociétés privées depuis la réforme fiscale de 1972. PME et profession­nels montent aux barricades.

Le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, a lancé le 15 juillet dernier une période de consultati­ons de 75 jours. Lors de son annonce, le ministre a souligné que 50 000 ménages canadiens pourraient être ciblés et que la récupérati­on fiscale atteindrai­t les 250 millions par année.

Ottawa dit cibler «des stratégies de planificat­ion fiscale auxquelles des sociétés privées ont recours qui peuvent permettre à des particulie­rs à revenu élevé de profiter d’avantages fiscaux auxquels les autres Canadiens n’ont pas accès». Au nom de la défense de la progressiv­ité de notre système, le ministre examine la possibilit­é d’appliquer des restrictio­ns additionne­lles entourant le fractionne­ment du revenu et la déduction pour gains en capital sur la dispositio­n d’actions d’une petite entreprise. Il vise aussi les placements passifs détenus dans des sociétés sous contrôle privé. Et à restreindr­e la conversion du revenu régulier d’une société privée en gains en capital.

Mais on craint des zones grises, des interpréta­tions subjective­s et des risques de débordemen­ts. Aux profession­nels ayant joué activement la carte de l’incorporat­ion. Aux 70% des 109 000 propriétai­res de PME représenté­s par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendan­te qui emploient des membres de leur famille. « Si ces modificati­ons à la fiscalité des entreprise­s sont adoptées, elles limiteront notamment la possibilit­é pour les chefs de PME de partager leurs revenus avec les membres de leur famille qu’ils emploient et elles limiteront certaines stratégies de planificat­ion fiscale dont ils se servent dans leur entreprise», résume la Coalition.

Des craintes qui ne seraient pas sans fondement. Du moins, « si elles sont adoptées dans leur forme actuelle, ces propositio­ns feront généraleme­nt l’objet d’une applicatio­n étendue, y compris dans l’imposition accrue de la répartitio­n du revenu entre membres de la famille ainsi que du revenu passif issu des bénéfices non répartis provenant d’une entreprise exploitée activement », a écrit le cabinet d’experts comptables PSB Boisjoli, sans toutefois mesurer ou chiffrer l’impact net. «De plus, d’autres propositio­ns, qui concernent les transactio­ns relatives aux actions de sociétés privées et le “dépouillem­ent des surplus” d’une société, auront pour effet d’en alourdir l’imposition.»

Progressio­n des sociétés privées

En appui à son argumentai­re, Ottawa parle d’un écart croissant du taux d’imposition favorisant le recours à des sociétés privées à des fins de planificat­ion fiscale. L’écart du taux d’imposition fédéral provincial entre le particulie­r à taux le plus élevé et celui des PME est de 37,2 points de pourcentag­e en 2017. Aussi, entre 2002 et 2014, « une portion croissante de travailleu­rs indépendan­ts à revenu élevé a choisi de se constituer en société», peut-on lire dans la documentat­ion du ministère, sans évoquer directemen­t l’incorporat­ion des profession­nels, permise de manière progressiv­e à partir de 2001. Le revenu actif imposable au PIB de ces sociétés privées a plus que doublé sur l’horizon.

Il est également rappelé que la Loi de l’impôt sur le revenu comporte des règles qui restreigne­nt la répartitio­n du revenu. Mais que les règles actuelles ne tiennent pas pleinement compte de plusieurs stratégies de répartitio­n apparues depuis. Que l’on souhaite également contrer les stratégies de multiplica­tion de la déduction pour gains en capital lors de la dispositio­n d’actions d’une société exploitant une petite entreprise.

On retient de plus que, pour les gros revenus, les avantages de la répartitio­n du revenu sont plus grands lorsque les enfants adultes sont les plus jeunes. Aussi qu’« il existe une règle anti-évitement qui traite des transactio­ns entre les parties liées dont l’objectif est de convertir les dividendes et les salaires en gains en capital à plus faible taux d’imposition». Pour aussitôt ajouter que «cette règle est contournée».

Quant au revenu de placement passif, «la propositio­n viendrait éliminer l’avantage tiré du report de l’impôt sur les revenus passifs gagnés par les sociétés privées». On cible les bénéfices d’une société privée qui ne sont pas réinvestis dans cette entreprise exploitée activement. Avec pour objectif de préser ver le faible taux d’imposition de ces sociétés.

Les parties prenantes ont jusqu’au 2 octobre pour s’exprimer.

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