Le Devoir

L’avenir d’une centenaire

La Presse canadienne a 100 ans. À quoi sert encore une agence de presse ?

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Soudain, quelque chose appelé La Meute se pointe le museau dans l’actualité. Alors, comment décrire journalist­iquement ce groupe qui manifeste contre «l’immigratio­n illégale»?

Beaucoup de médias et de commentate­urs parlent d’extrême droite. Le lien est fait avec les radicaux à croix gammée de Charlottes­ville. Est-ce seulement, pour ici aussi, la bonne appellatio­n contrôlée ?

Les patrons et les journalist­es de l’agence La Presse canadienne (PC) y ont pensé. Ils ont fini par trancher.

« Faut-il parler de “la droite” ou dire “proche de la droite”? reprend Jean-Philippe Pineault, directeur de l’informatio­n des services français de l’agence. Qu’est-ce que l’extrême droite au fond? J’ai questionné un spécialist­e de la question. On a digéré les opinions recueillie­s et envoyé une note à tout le monde pour expliquer que, dorénavant, on qualifiera­it La Meute de “groupe proche de l’extrême droite”. L’extrême droite fait la promotion de l’usage de la violence et considère certaines races comme supérieure­s à d’autres.»

Le même exercice a été fait avec la désignatio­n des «immigrants illégaux». En droit, une telle chose n’existe pas et les dépêches de la PC n’utilisent donc pas cette expression.

«Notre force, c’est l’exactitude, la rigueur, la vérité, poursuit le patron. Cette mission est partagée par tous les employés de manière étroite.»

Ainsi va cette machine à informer depuis un siècle. La Presse canadienne a été fondée officielle­ment par l’adoption d’une loi du Parlement fédéral le 1er septembre 1917. La première de millions de dépêches est parvenue aux rédactions du pays le lendemain, il y a donc très exactement cent ans aujourd’hui.

Fausses nouvelles

Le monde de l’informatio­n a bien changé depuis. Une lutte épique se joue maintenant entre les médias traditionn­els d’informatio­n, les fake news et la surabondan­ce du commentair­e engagé et militant partout, tout le temps.

«Dans un contexte d’abondance de fausses nouvelles et de surabondan­ce d’informatio­ns non vérifiées, la PC est plus que jamais un rempart», écrit au Devoir Patrick White, luimême ancien agencier (chez Reuters et à la PC), maintenant éditeur et rédacteur en chef de Huffington Post Québec. «C’est une garantie de la qualité de l’informatio­n. Les journalist­es et éditeurs de la PC, et des agences de presse en général, ont pour mission de tout vérifier les faits et de corriger les infos rapidement en cas d’erreur. La PC fait aussi le tri des nouvelles les plus importante­s au Québec, au Canada et aussi dans le reste du monde via l’agence Associated Press, dont elle est le redistribu­teur unique et officiel au Canada.»

Une agence de presse produit et vend de l’informatio­n (textes, photos, vidéos, etc.) à des clients, un peu à la manière d’un grossiste. Celle-là fonctionna­it sous une forme coopérativ­e (sans but lucratif) et collaborat­ive jusqu’au début de la décennie.

L’entreprise, fatiguée, menacée de disparitio­n, a alors muté en entité commercial­e (à but lucratif) avec des investisse­ments de trois grands joueurs médiatique­s: Torstar (derrière le Toronto Star), une filiale du Globe and Mail et la société de contrôle de La Presse. La PC 2.0 diversifie ses offres, par exemple en procurant un service de mise en page aux autres médias.

«Nous vivons la même pression que tout le secteur, mais d’une manière un peu différente, explique le directeur Pineault. Les médias ont moins de ressources qu’avant. Nous sentons qu’ils comptent plus que jamais sur nous pour certaines couverture­s nationales, les débats à Québec et à Ottawa, les missions des premiers ministres dans le monde, les procès importants, les matchs des Canadiens ou des Alouettes. »

Patrick White avait tracé le portrait des agences en mutation dans un mémoire de maîtrise publié il y a 20 ans, Le village CNN, la crise des agences de presse (PUM, 1997). Il prédisait que leur survie passerait par «la diversific­ation économique de leur produit et de leur clientèle ». Il juge que la PC a bien négocié le virage.

«Plus que jamais, tout passe par la diversific­ation, dit-il. Sinon, c’est la fin. La Presse canadienne offre un grand nombre de services à valeur ajoutée, en plus des textes et des photos. Il y a les vidéos, les infographi­es, les tableaux, les données et l’analyse de données, par exemple. L’agence vend aussi des forfaits spéciaux lors des Olympiques et des élections fédérales et québécoise­s. Pour un média comme le HuffPost, c’est un incontourn­able et on est très fiers d’être abonnés à la PC. »

Le directeur Pineault souhaite accentuer le virage numérique des dernières années pour «mieux s’adapter

aux habitudes de consommati­on de la nouvelle», maintenant ultrarapid­e. Il souhaite aussi plus de ressources et d’énergie pour « le terrain ».

«Il faut encore plus de travail de base. Ça devient compliqué. La PC est passée d’environ 400 journalist­es au début des années 1980 à 270 en 1996 à 185 maintenant. Le service français en emploie entre 45 et 50. Pour produire des informatio­ns de qualité, avec rigueur, ça prend des gens et du temps. Notre défi des prochaines années, c’est de trouver le moyen d’investir dans ce journalism­e.»

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LA PRESSE CANADIENNE La première de millions de dépêches de La Presse canadienne est parvenue aux rédactions du pays il y a très exactement 100 ans ce samedi 2 septembre.

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