Comment identifier les végétaux comestibles ?
Apprendre à lire, à compter, à connaître la nature comestible. Et pourquoi pas rêver un peu ?
Lorsque, fin juin, est sortie l’application mobile gratuite Vild Mad («nourriture sauvage» en danois) pour les appareils Android et Apple, plusieurs d’entre nous ont soupiré d’envie en imaginant un tel outil pour identifier nos propres comestibles sauvages. Avec Yvan Perreault du Jardin des noix, nous y avons un peu rêvé dans son coin de Lanaudière…
«Un outil d’identification des comestibles sauvages nordiques avec tous les détails concernant les meilleures parties à cueillir, le meilleur temps et la meilleure façon de les cueillir, pour assurer aussi la pérennité de la ressource, ça nous en prendrait un
à nous aussi, au Québec.» Je déambule avec Yvan dans son verger de noix situé à SaintAmbroise-de-Kildare, admirant ses bosquets en bordure d’eau, ses plants potagers laissés à leur heureux sort. Il fait bleu, l’herbe est détrempée et partout autour de nous, du comestible que je suis incapable de reconnaître, mais qu’Yvan débusque en deux temps trois enjambées. À peine ai-je fini de goûter la verdurette sauvage que le nuciculteur a déposée au creux de ma main qu’il me fait signe de le rejoindre pour en goûter une autre, puis une autre. Je ne sais plus où poser les pieds. J’ai peur d’écraser. Tant de nature comestible au sol! Des années de promenades, de quadrillages et de lectures ont forgé l’oeil d’un connaisseur comme Yvan. Pour moi, citadine fraîchement débarquée ce matin du bus à Joliette, il faudrait une application mobile dans l’esprit de celle qu’a sortie
le médiatisé chef René Redzepi (du restaurant Noma à Copenhague) et ses équipes dans le cadre des activités de son symposium MAD, réunissant les acteurs de l’industrie culinaire. Un clic, une fiche descriptive, des photos et des recettes pour s’approprier l’affaire sauvage.
Il faudrait que l’application rêvée, imaginée, envoie la photo prise à l’endroit où je me trouve à une banque de données qui identifie de suite ce que c’est, ainsi que la partie comestible. Par exemple, ce petit périmètre de sol sauvage. C’est toujours mélangé! Qu’est-ce qu’une appli pourrait dire de ce parterre végétal à un mobinaute? « Actuellement, cela prend un humain avec une formation», mem rétorque illico Yvan. Et voilà mon guide-animateur-formateur-mycologue-spécialiste des produits forestiers non ligneux reparti dans son exploration du sol. De la chicorée ici, du mauvais trèfle là… Hum, ça, non, pas intéressant à manger, trop amer… «Je pense que cette application mobile pourrait fonctionner pour les petits fruits sauvages et les champignons.» À condition que ces derniers soient montrés sous différents angles. Avec le sauvage, on n’a pas le droit à l’erreur. Par contre, selon Yvan, cela ne marcherait pas pour des plantes sauvages du type laitue en champs. Ces dernières étant souvent mêlées à d’autres. De plus, un cueilleur bien formé est capable de repérer de loin un gros bosquet dans lequel une plante abonde. Dans ce cas, une telle application ne servirait pas; excepté pour le cueilleur occasionnel, celui du dimanche. Mais pour identifier certaines plantes poussant parmi d’autres, pour éviter les confusions (les sosies entre végétaux), pour dire quelle partie est bonne à manger et à quelle période (un calendrier de comestibilité détaillé), ça oui.
«Au Québec, nous avons le projet de fermes forestières. Les comestibles sauvages sont finalement peu présents en milieu naturel. En pleine forêt, on trouve des champignons à l’ombre des arbres, ainsi que des plantes printanières et un peu de sève provenant notamment des érables ou des bouleaux. Mais pour le reste, les comestibles sauvages nordiques les plus intéressants [du point de vue gastronomique] proviennent principalement des milieux dits intermédiaires », m’explique Yvan. Après avoir trop domestiqué nos paysages, le projet vise à les réintroduire dans les terrains en friche, en bordure, en lisière; entre champs et forêts.
C’est là que ça se passe et que ça se mange ! Pour Yvan, qui de formation en cueillette s’invente son métier de fermier forestier, une application d’identification serait pertinente dans ces zones agroforestières en voie de reconstitution. Et puis, souhaite-t-on absolument économiser les contacts humains, tout ce mentorat qui se dispense à travers la province? Depuis quelques années, la filière de cueilleurs s’organise, se professionnalise. On imagine donc, on suppute, et l’on voit déjà venir les défis qu’une appli du type «Québec sauvage 101» poserait… Comme parler du conditionnement, c’est-àdire des étapes de préparation nécessaires pour transformer le comestible en quelque chose de mangeable. Yvan me donne en exemple le cacaoyer, pour lequel cela a pris des années avant qu’on en fasse des tablettes de chocolat !
Pas que visuel
Il faudrait aussi penser à intégrer les autres sens. Seule la vue ne suffit pas. Le toucher ou l’odorat importent dans un
contexte d’identification sensible, incertain. Entre deux champignons ayant la même allure, l’un mangeable, l’autre pas, le cueilleur doit plus qu’étoffer sa grille d’analyse. «C’est remettre la vie des gens entre les mains d’un outil techno. En fait, il faudrait mettre au point une machine incertaine… Ce qui impliquerait une intelligence artificielle! L’appli mobile devrait être capable de dire: “Il pourrait également s’agir de ceci” et d’ouvrir la discussion », réfléchit tout haut Yvan, entre deux piétinements de chiendent (du bon compost pour le sol!). Et puis, qu’est-ce qui est vraiment bon, et quand? Certains comestibles sauvages nordiques ne sont intéressants dans l’assiette que lorsqu’ils sont associés à d’autres ingrédients, et ce, à un stade précis de leur développement.
Malgré tous ces paramètres à prendre en compte, allons-y, imaginons, rêvons d’une application mobile qui listerait tous les comestibles sauvages du Québec et qui montrerait tout leur potentiel! Parce qu’il y en a. Beaucoup. Juste à nos pieds.