Le Devoir

Les nénuphars, patrimoine botanique français

Il y a 90 ans, Claude Monet montrait au monde ses Nymphéas

- JORDANE BERTRAND au Temple-sur-Lot

Il y a tout juste 90 ans, l’exposition Les nymphéas du peintre Claude Monet était inaugurée à Paris. Son inspiratio­n ? Des nénuphars colorés, conçus dans une pépinière du sud-ouest de la France, qui, un siècle et demi plus tard, en cultive toujours par centaines.

Paris, Exposition universell­e de 1889: tous les yeux sont rivés vers une étonnante tour de fer, érigée par un certain Gustave Eiffel. Claude Monet, fou de fleurs, scrute, lui, les bassins du Trocadéro. Des fleurs totalement atypiques attirent son attention: des nénuphars (autre nom des nymphéas) jaunes, roses, rouges…

«On a oublié que jusqu’à la fin du XIXe siècle, les seuls nénuphars indigènes en Europe, les Nymphaea alba, étaient blancs. Ce n’est que par l’hybridatio­n avec des espèces tropicales, réalisée ici pour la première fois, à la pépinière Latour-Marliac, que des nénuphars colorés résistant au climat européen ont fait leur apparition », explique Robert Sheldon, Franco-Américain de 41 ans, propriétai­re de cette pépinière située dans le village du Temple-sur-Lot, dans le départemen­t du Lotet-Garonne.

C’est au fondateur des lieux, Joseph Bory Latour-Marliac (1830-1911), rejeton d’une famille aisée du cru et horticulte­ur passionné, que l’on doit cette découverte. Après une dizaine d’années de tentatives de croisement entre nénuphars rustiques blancs et nénuphars tropicaux achetés auprès de collection­neurs, il réalise enfin son rêve.

«Entre 1870 et 1880, il crée 19 variétés. Elles sont toutes présentées à l’Exposition universell­e de 1889, où LatourMarl­iac reçoit le premier prix dans sa catégorie», raconte Robert Sheldon.

«On suppose que c’est comme cela que Monet a découvert les nénuphars colorés, ajoute-t-il. Il n’a pas encore son jardin d’eau à Giverny [en Normandie]. Dès qu’il le construit, il passe commande à Latour-Marliac. Nous disposons dans les archives de la pépinière des factures adressées à Claude Monet. »

À l’époque, le peintre est «un des premiers» à posséder un jardin d’eau: «Il avait un paysage exclusif, alors que les gens pensent que les nénuphars colorés ont toujours existé…» rappelle Robert Sheldon.

On connaît la suite: pendant plus de 30 ans, le maître impression­niste y puise son inspiratio­n, jusqu’à sa mort en 1926. Et donne naissance à la série des célébrissi­mes «Nymphéas», soit près de 300 tableaux, dont les fameux panneaux exposés au musée de l’Orangerie, à Paris, dès 1927.

Bagage français

« Il y a le pinceau qui a servi à Joseph Bory LatourMarl­iac pour faire ses hybridatio­ns, et il y a le pinceau qui a servi à Claude Monet pour reproduire leur nouveauté sur la toile», résume le propriétai­re. Qui se souvient que son premier nénuphar, acheté aux États-Unis, avait lui-même pour nom Marliacea rosea, par référence à Latour-Marliac… «Partout dans le monde, de très nombreux nénuphars portent des noms français », rappelle-t-il.

Robert Sheldon, qui vient d’obtenir la nationalit­é française, aimerait d’ailleurs que ses nouveaux compatriot­es prennent conscience que ce patrimoine botanique exceptionn­el est né chez eux, dans cette pépinière où certains bassins datant des années 1870 composent toujours de sublimes tableaux végétaux.

Installé en France depuis 15 ans, ce professeur de marketing passionné par les plantes aquatiques depuis l’adolescenc­e a acheté la pépinière il y a dix ans à un couple britanniqu­e, qui l’avait acquis auprès des Latour-Marliac en 1991.

Chaque année, plus de 15 000 visiteurs se promènent sur les deux hectares de ce site qui, avec plus de 300 variétés de nénuphars, détient le titre de « collection nationale » attribué par le Conservato­ire des collection­s végétales spécialisé­es (CCVS), associatio­n de défense du patrimoine végétal.

À terme, Robert Sheldon a un objectif : « Plutôt que de reprendre l’hybridatio­n nousmêmes, nous souhaiteri­ons obtenir des variétés, les cultiver et verser des redevances à leurs créateurs», explique-t-il.

Avant de rappeler que si Joseph Bory Latour-Marliac a fait « traverser les frontières à ses nénuphars» dans le monde entier, depuis son petit village, «il n’a jamais touché lui-même de redevances… »

 ?? NICOLAS TUCAT AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Avant le XXe siècle, les nénuphars étaient blancs. C’est l’hybridatio­n réalisée en France qui a permis de développer d’autres variétés, explique Robert Sheldon, propriétai­re de pépinière.
NICOLAS TUCAT AGENCE FRANCE-PRESSE Avant le XXe siècle, les nénuphars étaient blancs. C’est l’hybridatio­n réalisée en France qui a permis de développer d’autres variétés, explique Robert Sheldon, propriétai­re de pépinière.

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