Momenta : après les photos, les images
Auréolée de son nouveau nom, la biennale montréalaise de l’image entame une nouvelle ère
Q uand des festivals et des événements tardent à se renouveler, ils en paient d’une certaine manière le prix. Parlez-en aux gens de la Biennale de Montréal, une manifestation sans âme et désormais sans tête — certains diront sans avenir.
Le Mois de la photo à Montréal, l’autre biennale en ville, a certes 20 ans d’existence, le voilà rajeuni et armé d’un nouveau nom, prompt à défendre un art beaucoup plus vaste que la seule photographie. L’ère est désormais celle de Momenta, la biennale dite de l’image.
Le changement de nom, opéré entre deux éditions — pendant que la Biennale de Montréal se tirait dans les pieds —, s’est matérialisé avec l’arrivée à la direction générale d’Audrey Genois. Bon timing. La première Momenta a été confiée à Ami Barak, commissaire indépendant venu de Paris avec des idées idéales pour une mise à jour.
La photographie ? Un concept dépassé, clame sans hésitation cet homme à l’esprit libre. « Je fais partie, dit-il, de cette génération à qui on demandait si on s’y connaissait en photo, en prises de vue, en temps d’exposition… Aujourd’hui, ça n’existe plus. Votre grand-mère qui se fait des selfies ne se pose pas ces questions. C’est une sacrée révolution.»
Ami Barak est plus que ravi d’inaugurer la nouvelle ère de la biennale montréalaise. Et il arrive avec une «expo à thèse», une thèse qui tient en une question: «De quoi l’image est-elle le nom?»
«Nous vivons dans un continuel malentendu au sujet de ce que les images montrent et démontrent », dit-il, en entrevue. La peinture a eu son Magritte avec son «Ceci n’est pas une pipe» — il ne s’agissait que de la représentation d’une pipe. La photo et ses tonnes d’images n’ont jamais eu un équivalent aussi explicite.
«Nous avons tendance à oublier qu’une photographie n’est pas la réalité en soi, mais plutôt un moment cadré et isolé», précise le commissaire dans le texte qui ouvre la publication — déjà imprimée ! — de Momenta.
Depuis près de deux siècles, le malentendu auquel il fait référence entretient le fantasme qu’un clic rapide comme l’éclair exprime les quatre vérités d’un moment, d’un lieu, d’un sujet. Sans peur d’opposer les tenants de ce discours (les photographes de presse, notamment) et ceux qui tentent de le réévaluer (les artistes), Ami Barak prétend qu’une image vaut plus par ce qu’elle raconte hors champ que par ce que dit l’intérieur du cadre.
«Alors que les reporters ont tendance à capturer et à enfermer le visible, les artistes cherchent à ouvrir et à dévoiler de manière à présenter un aspect de la réalité sans nier l’existence d’autres vérités, cachées et possiblement contradictoires, écrit-il. Ce sont deux versions du document, deux modes opératoires, deux rapports au monde, deux conceptions du référent et deux régimes de vérité.»
Ami Barak n’ouvre pas une boîte de Pandore. La scission entre les deux régimes est chose connue depuis que les Bernd et Hilla Becher, Jeff Wall ou Cindy Sherman — tous pris à témoin par le commissaire dans son texte — ont voulu contourner « la pièce à conviction » et « la dictature du temps » que Barak associe à la photographie. Il souhaite plutôt rappeler la diversité des chemins que prennent aujourd’hui les artistes qui disent: «Ne gobez pas tout ce qu’on vous met devant le visage. »
Des revers aux belles images
Comme les photojournalistes, les artistes de l’image, croit Ami Barak, sont «lanceurs d’alerte». Son meilleur exemple, qui illustre la page couverture de la publication, concerne le travail de la Sud-Africaine Zanele Muholi, considérée comme une activiste, membre du mouvement LGBTQ.
« L’image est extraordinaire, mais pas uniquement ça, dit-il au sujet d’un portrait d’une femme noire sur fond noir. Cette image n’est pas là pour vous montrer une belle fille. Il y a un revers. Cette fille a une vie malheureuse. Elle a des partis pris sexuels que tout le monde peut avoir, mais pas partout. On lui rend la vie impossible.»
Le genre portrait sera bien représenté dans Momenta, avec les oeuvres du Mexicain Luis Arturo Aguirre, de la Croate de New York Dora Budor, du Camerounais de Paris Samuel Fosso ou encore du New-Yorkais Artie Vierkant. En plus de compter ceux qui font dans la métaphore.
«Le portrait est présent même quand il n’y a pas d’être humain», avance Ami Barak, en citant la Suédoise Hanna Liden, également basée dans la Grosse Pomme. «Elle fabrique un bouquet avec des bouts de plastique et c’est un portrait. Elle le dit elle-même: “C’est le portrait de ma copine”. »
La thèse de Momenta se matérialisera sous deux formes: une exposition centrale partagée entre le centre Vox et la Galerie de l’UQAM, et 14 solos dispersés en 14 adresses. Le Mois de la photo peut avoir été rebaptisé, la manière d’exposer demeure sensiblement identique. En réalité, d’une biennale à l’autre, c’est le même modus operandi. L’innovation de deux expos centrales en une risque cependant d’étioler le propos.
«Il s’agit d’une expo en deux parties. En fait, en deux lieux. Elle n’est pas en deux parties, se corrige le commissaire, pris lui-même dans la confusion. À l’entrée, vous aurez le même texte. C’est comme si vous preniez une pause pour fumer et vous rentrez après avoir fait quelques centaines de mètres.»