Briser l’isolement par la danse contemporaine
Alors que la rentrée automnale s’amorce à Montréal, la compagnie Danse-Cité s’apprête à célébrer ses 35 années de présence dans le paysage montréalais, tandis que le festival Quartiers Danses soufflera ses 15 bougies. Outre certaines similarités dans leurs mandats — dont celui de soutenir et de mettre en avant des artistes émergents en ouvrant les bras à une diversité de disciplines —, les deux entités ont la particularité d’oeuvrer, chacune à sa manière, à mettre la danse à la portée des plus vulnérables à travers leurs initiatives de médiation culturelle.
Implanté en 2013, le volet médiation culturelle de Quartiers Danses a nettement pris de l’ampleur, précisant la mission socio-communautaire du festival. Toute l’année, ce dernier s’évertue à proposer gratuitement des ateliers de danse contemporaine, dispensés par des chorégraphes et des animateurs culturels auprès d’organismes communautaires, de CHSLD, d’écoles et de CPE.
D’abord orientée vers les aînés, l’offre s’est diversifiée en fonction des demandes et des besoins des organismes. Leurs ateliers peuvent prendre la forme de cours de danse, mais aussi d’initiation aux codes de la danse contemporaine afin de proposer des clés de lecture avant les sorties aux spectacles. Un partenariat avec le Musée des beaux-arts de Montréal permet d’amener des personnes à mobilité réduite à la rencontre de l’art contemporain et de la danse au musée.
«Cette année, on s’est vraiment concentrés sur les personnes qui vivent avec une déficience intellectuelle et motrice ou qui ont des troubles comportementaux, affirme Alexandra Ladde, directrice de la médiation culturelle du festival. On avait envie de toucher un public qui n’avait pas accès à la danse et à l’art contemporain pour toutes sortes de raisons: que ce soit par désintérêt, par manque d’argent ou par difficulté de mobilité. On est parti du principe que si les personnes ne pouvaient pas se déplacer, alors on viendrait à elles. »
Approcher la création avec délicatesse
Chez Danse-Cité, la collaboration avec les Impatients — organisme qui vient en aide aux personnes qui ont un problème de santé mentale via l’expression artistique — a lancé et consolidé le volet médiation culturelle de la compagnie, jumelant dès 2015 la chorégraphe Aurélie Pedron, et plus tard Catherine Tardif, avec l’organisme.
À l’instar de Quartiers Danses, les participants sont invités aux spectacles produits par la compagnie, et un travail d’initiation à la danse contemporaine autant pratique qu’informatif et didactique est effectué au cours des ateliers.
«Pour moi, ce qui est important, c’est que ce soit en continuité avec les demandes des artistes », affirme Daniel Soulières, fondateur et directeur de la compagnie trentenaire. Le danseur émérite ayant étudié en psychologie dans sa jeunesse souhaitait que les médiations soient entièrement portées par les artistes. Et comment approcher la création dans des contextes sensibles ? «Quand tu infiltres ce genre de domaine, il y a toujours des psychologues et des intervenants qui suivent et accompagnent les artistes», ajoute Maud Mazo-Rottenbühler, directrice des communications chez Danse-Cité.
« Aurélie [Pedron] s’est centrée sur l’idée de faire de l’art en essayant de mettre un tant soit peu de côté les soucis que les participants pouvaient rencontrer. Elle s’est heurtée parfois à la réalité, mais elle a toujours réussi à les amener sur des chemins qu’ils ne connaissaient pas. Ils ont été très friands et redemandent des ateliers toutes les sessions. Le groupe a ainsi grossi au fur à mesure.»
Du côté de Quartiers Danses, la collaboration avec les intervenants sur place dans les organismes est cruciale pour Alexandra Ladde, aussi éducatrice spécialisée de formation : «On n’est pas juste dans l’animation, il y a aussi tout un travail fait en amont avec les intervenants sociaux. »
Rencontres thérapeutiques
De façon similaire, le dernier projet de médiation culturelle de Danse-Cité mené par l’artiste Sarah Dell’Ava auprès de personnes arrivées à titre de réfugié ou de migrant reçu, a nécessité d’approcher des spécialistes en la matière pour saisir amplement les conditions des migrants et éviter les maladresses et les faux pas. Avec La trace de ceux qui ont marché, il s’agissait d’ouvrir un espace de partage et de rencontres interculturelles par le biais de la danse et du chant afin d’aboutir à une installation performative (présentée au MAI en juin dernier).
Dépassant le besoin d’élargir, au compte-gouttes, le public pour la danse contemporaine, chez Quartiers Danses, tout comme chez Danse-Cité, on croit aux vertus thérapeutiques de la danse, à son pouvoir d’expressivité et surtout à ses bienfaits pour pallier l’isolement des plus vulnérables. Pour Danièle Soulières, « l’expression et la libération d’émotions étouffées est un premier moteur vers la danse».
Tandis que pour Rafik Hubert Sabbagh, directeur du festival Quartiers Danses et ancien danseur ayant longtemps enseigné l’alignement postural, «l’écoute du corps, son équilibre avec l’esprit, le fait de se laisser-aller pour vivre le moment présent peuvent épanouir quelqu’un. Ne seraitce que de voir des danseurs essayer de communiquer quelque chose, qu’elle soit sociale, politique ou artistique, via l’émotion que génèrent certaines esthétiques, ça peut éveiller un moment d’humanité, de relâchement, de poésie chez celui qui regarde».