Les démons de King
Chez Stephen King, le jeu de la métaphore fonctionne à plusieurs niveaux. Les petites villes en proie à l’implosion devenant la représentation d’un monde prompt à s’autodétruire, c’est la vision macroscopique des choses. La vision microscopique, tout aussi fascinante, renvoie quant à elle à l’intimité du créateur. De quelle manière ? ÇA, le monstre, peut aussi être vu comme la manifestation extérieure, c’est-à-dire sur la page, des démons intérieurs qui tourmentent le romancier. Il faut savoir que King était un gros consommateur de cocaïne, de son propre aveu, entre 1979 et 1986, soit jusqu’à la sortie de ÇA. Dans Hollywood’s Stephen King, Tony Magistrale met en exergue la complaisance — certes involontaire — des adultes sous l’emprise de la créature qui a élu domicile dans ses égouts: «Le roman détaille les interrelations entre la ville de Derry et le monstre identifié en tant que ÇA, une créature qui aide la municipalité à soutenir sa viabilité économique en échange de la volonté de Derry de permettre à ÇA de s’en prendre à ses enfants.» Au faîte de sa consommation, King pondit les manuscrits à une vitesse effrénée et vit son succès se confirmer, puis exploser. Il était parfois tellement à côté de ses pompes qu’il confie dans son essai Écriture: mémoires d’un métier être incapable de se remémorer l’écriture de Cujo, un de ses nombreux romans à succès. Mais voilà, le succès serait-il au rendez-vous même sans la coke ? King réussirait-il à écrire sans cette stimulante béquille? En lui s’opérait le même phénomène qu’à Derry, en cela que King nourrissait lui-même le monstre qui le détruisait à petit feu sous prétexte de le soutenir dans sa réussite professionnelle. King explique dans le même ouvrage que son roman de 1987 Misery, dans lequel un romancier à succès est séquestré par son admiratrice numéro un, est autobiographique en cela que la geôlière représente la cocaïne. En racontant la lutte de son alter ego pour s’en sortir, King relate, en sous-texte, le combat qu’il mena, et remporta, contre sa dépendance. Autre exemple, plus ancien et lié à l’autre dépendance de l’écrivain, que celui de Shining, paru en 1977. On y est témoin de la descente dans une folie homicide d’un écrivain alcoolique (comme King à l’époque) alors qu’il a la garde d’un hôtel de montagne reculé, avec sa femme et leur fils. Dans l’avant-propos de la réédition, Stephen King écrivit : «Les monstres existent, et les fantômes aussi. Ils vivent en nous, et parfois, ils gagnent.» Rarement dans ses romans, fort heureusement.