À chacun son Passe-Partout
Une émission devient une bouée de sauvetage pour revenir à la réalité
BRIGSBY BEAR
Comédie dramatique de Dave McCary. Avec Kyle Mooney, Greg Kinnear, Jorge Lendeborg Jr., Mark Hamill. États-Unis, 2017, 100 minutes.
Avec ses personnages aux couleurs vives, un soleil éblouissant rappelant celui qui illumine les Télétubbies et une morale dépouillée de toute forme de subtilité, on pourrait croire que l’émission Brigsby Bear a fait les beaux jours des enfants du siècle passé, rivés devant PBS ou Télé-Québec. Même le ruban magnétoscopique quelque peu abîmé des vidéocassettes témoigne de la passion ardente de son plus fidèle téléspectateur.
Or, James (Kyle Mooney, un profil atypique impossible à oublier), 25 ans, brillant et immature, ignore qu’il est le seul à connaître, et à aimer, cette émission faite sur mesure pour lui. Fabriquée en secret par son père (Mark Hamill, qui s’y connaît en matière de dévotion névrotique), cette télé édifiante quelque peu débilitante semble la seule chose à laquelle le jeune homme s’accroche, isolé dans un bunker avec ses parents depuis sa naissance.
Voilà la prémisse amusante, mais pas nécessairement très originale — on songe autant à Be Kind Rewind, pour le côté bricolage, qu’à Blast From the Past, pour l’aspect survivaliste —, de Brigsby Bear, le premier film de Dave McCary, un artisan de Saturday Night Live, tout comme Kyle Mooney, tandem déterminé à transposer sa folie créatrice au cinéma.
Et il y parvient souvent dans cette comédie douce-amère qui bascule d’une réalité souterraine au monde extérieur. Car l’arrivée brutale des autorités policières dans cet espace clos va révéler le subterfuge et bouleverser la vie de James, que l’on tenait en quelque sorte en captivité. Sa rencontre avec sa véritable famille, et tout ce qui gravite autour, là où sa série favorite n’est connue de personne, sera un choc brutal, d’autant plus que James ressemble le plus souvent à un extraterrestre.
C’est alors que la nécessité de la création entre en scène, illustrée de façon poétique et comique, soulignant aussi son caractère thérapeutique. James apprendra rapidement les techniques cinématographiques pour recréer cet univers rassurant, appuyé par un ami cinéphile, lui qui comprend avant les autres la passion qui l’anime, contrairement à ses parents et à une psychologue psychorigide (Claire Danes, qui se croit un peu dans Homeland).
À l’image de cette émission à la fois inventée de toutes pièces et si caractéristique de la galaxie Passe-Partout, ce récit d’apprentissage surligne parfois ses intentions, traînant à l’occasion en longueur, mais n’est jamais en manque de situations cocasses et de scènes arrache-coeur.
Dans ce monde de pure fantaisie et de banalité banlieusarde, où les enquêteurs de police défient sans gêne leur code de déontologie (touchant Greg Kinnear), et où les marginaux finissent par être acceptés par la majorité, Brigsby Bear fait l’apologie de l’enfance… tout en montrant le chemin pour en sortir. Dans le cas de James, c’est au prix d’efforts douloureux, de renoncements déchirants, mais le plus souvent avec le sourire des esprits candides. L’Amérique en a bien besoin.