Fiction du monde
D’Istanbul à la Norvège, de la folie à la passion, la littérature d’ailleurs rapproche la différence de ses points de vue
Unis dans la différence de ses points de vue. Cet automne, la fiction étrangère promet de rapprocher le monde, de réduire les espaces, d’estomper les frontières en exposant des réalités singulières, venant de loin, tout en nous étant proches. Grande ligne d’une rentrée riche en diversité en 11 destinations.
Turquie. Orhan Pamuk, Prix Nobel de littérature en 2006, scrute les mutations d’une ville et d’une société dans Cette chose étrange en moi (Gallimard), traduit du turc par Valérie GayAksoy, un portrait choral d’Istanbul des années 1960 à aujourd’hui. Roman fort, il suit le quotidien de Melvut, vendeur de boisson fermentée (boza), de sa famille, de ses amis, mais surtout, il met un visage sur ces préoccupations et ces enjeux quotidiens qui nourrissent aussi les aspirations changeantes d’un peuple.
Groenland. Les clichés habituels sur le Grand Nord ne résisteront pas au texte fort, cru, intense, mais surtout débordant de vie et de modernité de la jeune écrivaine groenlandaise Niviaq Korneliussen. Homo Sapienne (La Peuplade) sonde, dans cette première traduction en français, le quotidien de cinq jeunes vivant dans la «petite grande ville» de Nuuk, capitale du Groenland. Tous traversent des périodes de changements radicaux dans leurs vies.
Suisse. Absurde? C’est ce qu’annonce Éléphant (Christian Bourgois éditeur) de Martin Suter, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni. Sous la couverture: un sans-abri de Zurich fait la rencontre d’un petit éléphant rose et luminescent, créature qui vient de loin et qu’un Birman va lui voler pour le cacher. Conte loufoque? Oui, mais surtout fable sur le sacré et sur la bonté que l’hypertechnicité du présent peut tuer.
Liban. Le poids de la tradition, de ses interdits devant le libre arbitre, voilà ce qu’oppose
Charif Majdalani dans L’empereur à pied (Seuil), récit philosophique et ouvert sur le monde qui, sur plus d’un siècle, suit le destin de Khanjar Jbeili, empereur de son état, et de ses descendants, à qui il a imposé cette règle: par génération, un seul d’entre eux peut se marier et avoir des enfants. Les autres doivent l’aider à gérer les biens du clan. Et puis, un membre de la lignée va remettre en question l’impératif.
Danemark. L’été infini (Notabilia) de Madame
Nielsen, traduit du danois par Jean-Baptiste Coursaud, c’est l’été de tous les possibles pour un groupe de jeunes face à leur destin dans la campagne danoise. On est dans les années 1980, mais aussi dans le tumulte des attractions, dans ce temps suspendu où tout est possible, raconté par un auteur atypique, dramaturge né homme en 1963 et devenu femme en 2011.
Pays-Bas. Avec érudition, Joost de Vriers pourfend l’hypocrisie du monde universitaire dans L’héritier (Plon), récit absurde dans lequel un spécialiste du métadiscours sur Hitler va se battre pour récupérer sa place de dauphin du grand philosophe Josip Brik, son mentor. L’homme vient de mourir et un imposteur tente de s’imposer comme le nouveau gardien de ce savoir spécialisé. Un récit qui démontre que les réalités alternatives peuvent aussi être l’apanage de ceux et celles qui aiment les dénoncer.
Norvège. Peut-on partager la douleur des autres? C’est la question que pose Eivind Hofstad Evjemo dans Vous n’êtes pas venus au monde pour rester seuls (Grasset) en revenant sur les semaines qui ont suivi le massacre perpétré par Anders Breivik en 2011 sur l’île d’Utoya. 69 jeunes y ont perdu la vie. Traduit par Terje Sinding, le récit entre dans la vie de Stella, qui cherche à épauler ses voisins, dont la fille a été emportée par le tueur fou. L’intimité du deuil rejoint ici celle de ces sociétés forcées de composer avec la réalité des attentats.
Autriche. Temps long, temps court, temps suspendu… la course des horloges est une question de perception qu’explore le grand écrivain autrichien Christoph Ransmayr en se rendant dans la Chine du XVIIIe siècle, où un empereur despote invite le plus grand des horlogers de l’Occident pour l’aider à ralentir la course du temps. Le gars s’appelle Alistair Cox. Son patronyme donne son titre au roman traduit de l’allemand par Bernard Kreiss : Cox ou la course du temps (Albin Michel).
Inde. C’est une histoire d’adolescents et de cricket que propose Araind Adiga dans La sélection (Buchet-Chastel), traduit de l’anglais par Annick Le Goyat. C’est aussi une histoire d’ambition, de vengeance, d’amitiés et de survie mettant face à face deux frères, Manju et Radha, issus des quartiers pauvres de Bombay, mais aussi un père à l’ambition démesurée pour sa progéniture et qui va rendre rugueux son apprentissage de la vie.
Italie. Dans une Italie du Sud gangrenée par les trafics d’influence et la terreur des mafias,
Nicola Lagioia met en scène un drame familial dans La féroce (Flammarion), traduit de l’italien par Simonetta Greggio et Renaud Temperini. Clara Salvemini, fille d’un entrepreneur influent et aux affaires douteuses, est retrouvée morte, marquant le point de départ d’une autopsie en règle d’une société et des dérives qui la traversent.
Grande-Bretagne. Du sexe, la fuite du temps et la jalousie habitent le septième roman du Britannique Hanif Kureishi qui place l’adultère au centre de L’air de rien (Christian Bourgois éditeur), traduit de l’anglais par Florence Cabaret. À l’intérieur? Waldo, vieux réalisateur londonien malade, soupçonne sa jeune femme, Zee, de le tromper et donne corps à un roman noir sur fond de triangle amoureux, cette forme géométrique franchement universelle.