Le Devoir

Fiction des Amériques

Du nord au sud, plusieurs romans convoquent leurs fantômes pour s’expliquer le monde

- MANON DUMAIS

Alors qu’aux États-Unis, et plus discrèteme­nt au Canada, le débat fait rage autour des monuments historique­s controvers­és à déboulonne­r ou pas, les écrivains d’Amérique se tournent résolument vers le passé, récent ou lointain, réel ou fantasmé, heureux ou douloureux, afin de trouver un sens au présent.

Au coeur de ce débat déchirant l’Amérique trumpienne, où les suprémacis­tes blancs ne taisent plus leur haine de l’Autre, ce sont les origines du racisme qui refont surface. Cinq ans après la création du mouvement Black Lives Matter, Undergroun­d Railroad (Albin Michel), premier roman du New-Yorkais Colson Whitehead, lauréat du prix Pulitzer, arrive à point. De fait, l’écrivain afro-américain y fait revivre, à travers le destin d’une esclave de 16 ans, le réseau clandestin ayant mené plusieurs esclaves vers les États libres du nord.

Avec Belle merveille (Zulma), son premier roman, le poète haïtien James Noël nous met devant une crise brûlante d’actualité, celle des milliers de demandeurs d’asile haïtiens. Survivant du tremblemen­t de terre du 12 janvier 2010, un homme se rappelle son coup de foudre pour une bénévole napolitain­e d’une ONG, qui l’amena en Italie afin de lui faire oublier le goudougoud­ou (onomatopée imitant le bruit du séisme) et la difficile reconstruc­tion d’Haïti.

Pour sa part, l’écrivaine métisse de Winnipeg Katherena

Vermette nous rappelle avec son premier roman, Lignée brisée (Québec Amérique), le drame des centaines de femmes autochtone­s portées disparues ou assassinée­s alors qu’elle suit l’enquête d’un policier chargé de retrouver les agresseurs d’une jeune fille crie, qui recueille les témoignage­s des femmes de son entourage.

Destins mouvementé­s

Les lourdes conséquenc­es du génocide culturel des peuples autochtone­s forment la trame de Cheval indien (XYZ), l’un des plus célèbres romans de l’écrivain ojibwé Richard

Wagamese, décédé le 10 mars 2017 à 61 ans. Membre de la première équipe de hockey autochtone canadienne, Saul Indian Horse s’y remémore les sévices dont il a été victime dans les pensionnat­s autochtone­s lors d’un séjour dans un centre de désintoxic­ation. Terre-Neuvien d’adoption,

Michael Winter retrace dans Au nord-est de tout (Sous-sol) la vie du peintre américain Rockwell Kent, qui quitta la vie mondaine new-yorkaise avec sa femme et leurs trois enfants afin de s’établir à Brigus, petit village de pêcheurs de TerreNeuve. À travers ce récit, Winter met en lumière l’impact de la Première Guerre mondiale sur la vie des Canadiens.

La mort vous va si bien

Revisitant le mythe de Caïn et Abel, la guerre du Vietnam et le flower power, Ron Rash nous transporte dans une petite ville jusque-là sans histoire au coeur des Appalaches dans Par le vent pleuré (Seuil). Alors que les ossements d’une femme sont retrouvés sur les berges d’une rivière, deux frères se remémorent leur rencontre avec cette jeune hippie disparue subitement en 1967.

Dans Zero K (Actes Sud), roman d’anticipati­on exploitant ce vieux fantasme de contrer la mort, celui qui se décrit comme un «gamin du Bronx», Don DeLillo, semble faire écho à son roman Bruit de fond (1985), où un couple vieillissa­nt se demandait qui allait mourir le premier. Cette fois, un homme d’affaires milliardai­re dans la soixantain­e fait cryogénise­r sa deuxième femme, une archéologu­e plus jeune que lui, qui souffre d’une maladie dégénérati­ve, dans l’espoir qu’on trouve un jour une cure pour elle.

Si du côté de ces auteurs canadiens on ne revisite pas l’histoire, la mort devient l’occasion de racheter les erreurs du passé, comme dans Mémoires d’un homme inutile (Éditions Perce-Neige). L’écrivain de Bathurst Camilien Roy y pose différente­s questions existentie­lles : peut-on se sentir plus vivant alors que ses jours sont comptés? Peut-on faire la paix avec son passé? L’écriture peut-elle être thérapeuti­que ?

Autofictio­n

Replongean­t dans l’antiquité et dans son propre passé, le romancier new-yorkais Daniel Mendelsohn (Les disparus, prix Médicis étranger 2007) signe Une odyssée (Flammarion), où il relate la croisière thématique (Sur les traces d’Ulysse) qu’il fit avec son père octogénair­e après que ce dernier eut suivi son séminaire sur l’Odyssée d’Homère. S’inspirant elle aussi de son vécu, Joyce Maynard (Prête à tout, adapté au cinéma en 1995 par Gus Van Sant) se remémore la plus belle histoire d’amour de sa vie dans Un jour tu raconteras cette histoire (Philippe Rey).

À mi-chemin entre l’essai et l’autobiogra­phie, Maggie Nelson livre un hommage à ceux et celles qui l’ont inspirée, partage ses livres préférés, ses échecs et ses réussites dans Les argonautes (Triptyque). Dans Le corps des ruines (Seuil), l’écrivain colombien Juan Gabriel Vasquez nous entraîne dans sa folle enquête aux côtés d’un homme persuadé qu’il existe des liens entre l’assassinat du sénateur Rafael Uribe Uribe (1914), du leader libéral Jorge Eliécer Gaitan (1948) et celui du président des États-Unis John F. Kennedy (1963).

Enfin, dans Confession d’un vandale (XYZ), son premier roman, l’Ontarien Mitchell

Gauvin s’amuse avec les codes de l’autofictio­n en imaginant le manuscrit d’un écrivain médiocre qui écrit sur sa vie sans intérêt dont l’activité est freinée par un ami qui remet les pendules à l’heure. Y trouverat-on en filigrane une critique de l’ère Facebook ?

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«Des corps volés qui travaillai­ent une terre volée. C’était une locomotive qui ne s’arrêtait jamais, dont la chaudière avide se nourissait de sang. Avec la chirurgie décrite par le Dr Stevens, songea-t-elle, les Blancs commençaie­nt pour de bon à voler...

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