Le Devoir

Comme le miroir d’une étrange époque

Collés sur l’actualité, plusieurs auteurs promettent de faire rimer lire et réfléchir

- MARIE FRADETTE Collaborat­rice Le Devoir

Dans l’abondante et touffue production albumique, une cueillette de quelques feuilles singulière­s permet de nous interroger sur le monde qui nous entoure.

Nous le connaisson­s côté adulte, nous le découvrons côté jeunesse depuis l’an passé alors qu’il faisait paraître 759 lapins, François Blais récidive avec Le livre où la poule meurt à la fin (400 coups). En compagnie de Valérie Boivin aux illustrati­ons, l’auteur nous plonge dans l’univers de la consommati­on à outrance, de ce besoin irrépressi­ble et absurde d’acheter. Sous des dehors de rigolade, il offre un reflet percutant et ironique de certaines pratiques insipides.

L’environnem­ent participe aussi de ce grand tout qui a une incidence sur notre mode de vie. Marivière de Catherine Lepage, publié chez Comme des géants, explore avec poésie le mauvais traitement infligé à nos cours d’eau. Le trait naïf de Lepage suggère un contraste entre la nature sans défense et le «je-m’en-foutisme» général des grands pollueurs de ce monde. Du côté européen, on trouvera Changeons! (La joie de lire), un album sans texte de Giustozzi Francesco. Le grand besoin d’étaler la ville a nécessaire­ment un impact direct sur l’air que l’on respire, sur notre mode de vie et sur celui des animaux. L’impératif du titre trouve écho dans des illustrati­ons sobres, des lignes pures qui mettent en relief l’étendue du drame qui se joue avec l’urbanisati­on galopante.

La réflexion pourra se poursuivre avec Le citronnier d’Ilia Castro, illustré par Barroux et édité par D’eux, un texte qui aborde avec douceur et espérance le thème toujours actuel et perturbant de la guerre. À la fois tendre et déchirant, le texte de Castro met en scène une petite fille plus grande que nature qui vient au monde pendant une fusillade. La force de son cri parvient alors à couvrir « pour un instant les bruits de guerre». Nécessaire lecture en ces temps sombres et froids.

Du côté des romans

Entre les Camille Bouchard, Sarah-Maude Beauchesne, Marie-Renée Lavoie qui reviennent avec des suites attendues, trois auteurs bousculero­nt et sonderont particuliè­rement les adolescent­s par leur franchise et leur aplomb. Gwladys

Constant — qui nous a donnés cette année le sombre Je suis la Terre — explore cette fois-ci le côté lumineux de l’existence. MythoMamie (Alice), c’est l’histoire d’une rencontre entre une jeune fille perdue et une vieille femme au bout de sa route. C’est une réflexion philosophi­que sur le sens de la vie, de la vérité et du mensonge; une ode à l’imaginatio­n et à la jeunesse tenue à bout de bras par cette Hortense de 86 ans. Un roman signifiant ne serait-ce que par la charge d’amour et d’affection qui en émane.

Toujours à l’affût de ce qui fonde l’espèce humaine, Susin Nielsen fait pour sa part vibrer la corde sensible de l’équilibre. Dans Les optimistes meurent en premier (La courte échelle), traduit par Rachel Martinez, on rencontre Petula, adolescent­e pleine d’obsessions, pessimiste, et méfiante. Grâce à l’Homme bionique, elle apprend toutefois tranquille­ment à défaire les noeuds qui lui tordent le coeur et l’âme. Un roman pertinent dans une actualité traversée par la haine, la peur et la méfiance.

Si Nielsen et Constant explorent le côté lumineux des relations humaines, Patrick Isabel clôt avec Lui (Leméac) son sombre triptyque psychologi­que. Dans une langue directe, l’auteur offre un personnage intense, un humain aux mille travers, mais aussi tendre et émotif, qui ira au bout de lui-même. Sorti de prison, Lui se retrouve face à ses parents, mais surtout face à lui-même. Une traversée entre hier et aujourd’hui, entre le geste qu’il a posé, ce qu’il regrette et ce qu’il assume, entre la haine et la volonté d’aller au bout de soi.

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