Le Devoir

Des idées contre le mépris de l’esprit

Cet automne, le meilleur stimulant des intellectu­els s’appelle Donald Trump

- MICHEL LAPIERRE Collaborat­eur Le Devoir

Le 22 août, en réponse au président américain Donald Trump qui a dit qu’il y avait, lors de l’affronteme­nt entre l’extrême droite et les antiracist­es à Charlottes­ville cet été, «des gens gentils des deux côtés», Bernie Sanders, l’opposant de gauche d’Hillary Clinton aux dernières primaires démocrates, réplique : «Non, il n’y a pas de nazis gentils!» Voilà le ton du combat politique qu’il résume dans son essai Notre révolution (Les liens qui libèrent).

Au sein du même pays, un autre progressis­te, penseur incontourn­able de la résistance, Noam Chomsky, affirme, à propos de l’avenir des jeunes, que, pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, le rêve d’une vie meilleure que celle des parents apparaît définitive­ment compromis. Son livre Requiem pour le rêve américain (Climats) se veut une charge contre Trump.

L’intellectu­el de 88 ans, cette fois dans L’optimisme contre le désespoir (Lux), réfléchit sur la Russie de Poutine, l’Europe, la crise des migrants, le fanatisme religieux. De plus, il y attaque encore la Maison-Blanche.

Née au Canada et beaucoup plus jeune, la journalist­e Naomi

Klein, dans Dire non, et après? Contre la stratégie du choc de Trump (Lux), voit le succès électoral relatif du président presque comme un coup d’État du capitalism­e traditionn­el pour s’opposer désespérém­ent à l’essor de la nouvelle économie, axée sur le savoir, et à la prise de conscience du péril écologique.

La glaçante dimension militaire du baroud d’honneur de ce conservati­sme aveugle se révèle dans La machine à tuer. La guerre des drones (Lux), du journalist­e américain Jeremy Scahill, avec un avant-propos de son compatriot­e le lanceur d’alerte Edward Snowden. La récente décision de Trump de pousser les États-Unis à participer davantage à la guerre d’Afghanista­n accentue l’actualité du livre, selon lequel les drones ne viseraient juste qu’une fois sur dix, en faisant de nombreuses victimes innocentes.

Malgré son anti-intellectu­alisme, Trump stimule décidément les essayistes. Son arrivée au pouvoir permet à De la tyrannie. Vingt leçons du XXe siècle (Gallimard), de Timothy Snyder, de pousser la réflexion très loin. L’historien américain tente d’y persuader ses compatriot­es que leurs institutio­ns ne les mettent pas à l’abri d’un régime totalitair­e, comme ceux que l’Europe a connus sous Hitler et sous Staline.

Sensibilit­é progressis­te

À la lumière du phénomène Trump, un autre historien, français celui-là, Emmanuel Todd, dans Où en sommesnous? Une esquisse de l’histoire humaine (Seuil), scrute notamment le paradoxe de l’Homo americanus, à la fois innovateur et archaïque. Il est d’ailleurs curieux de constater que l’avènement du président américain, caricature de la droite nostalgiqu­e des États-Unis révolus, correspond, dans le temps, à une redéfiniti­on aussi éclairée qu’audacieuse de la sensibilit­é progressis­te.

La traduction française Contre la haine (Seuil) du livre de la journalist­e allemande Carolin

Emcke en témoigne. Loin du ton doctrinair­e, l’ancienne correspond­ante de guerre analyse la haine ethnique, sociale et sexiste, fondée, à ses yeux, sur l’effacement des différence­s identitair­es, le désir d’homogénéit­é, le culte de la pureté.

Le beau titre de l’entretien entre le psychiatre Boris Cyrulnik et le sémiologue Tzvetan Todorov, La tentation du bien est beaucoup plus dangereuse que celle du mal (L’Aube/Le Monde), fait écho à cette défiance d’un angélisme assimilabl­e si souvent à un extrémisme. Les deux intellectu­els discutent de la capacité des êtres humains à sombrer dans une barbarie ennoblie par leurs ambitions ou à résister à ce terrible leurre.

Mais essayer de fouiller la conscience et surtout l’inconscien­t risque de faire du chercheur qui se consacre à la tâche, même de façon relativist­e, la proie des inquisiteu­rs. L’anthropolo­gue français Samuel Lézé l’explique dans Freud Wars. Un siècle de scandales (PUF). Il veut montrer qu’en dépit des détracteur­s de Freud, dont aujourd’hui le philosophe Michel Onfray, attaquer le père de la psychanaly­se, c’est ironiqueme­nt magnifier en lui le chercheur qui tâtonne, conscient d’un seul principe: le doute.

Cet heureux scepticism­e, l’essayiste britanniqu­e Tom

Hodgkinson (né en 1968) le pratique à sa manière. Il en livre les secrets dans un bestseller internatio­nal enfin traduit en français : L’art d’être libre dans un monde absurde (Les liens qui libèrent). Il rejette la primauté de l’argent et suggère à nous tous ce qui manque le plus à Trump: l’autocritiq­ue.

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