Consommer 100 % canadien... Ou presque
Une série documentaire suit l’expérience du journaliste Frédéric Choinière au fil des saisons
Café colombien, tomates du Mexique, chandail fabriqué en Thaïlande, ordinateur assemblé en Chine… À l’heure de la mondialisation, où l’on consomme des produits venant de plus de pays qu’on ne pourra jamais en visiter, est-il vraiment possible de vivre 100% canadien? C’est le défi qu’a relevé pendant un an le journaliste Frédéric Choinière, en s’interdisant d’acheter ou de consommer tout ce qui vient de l’étranger. S’inspirant d’un documentaire français,
L’année où j’ai vécu 100% français, M. Choinière a décidé d’adapter le concept à la réalité canadienne. Le fruit de son expérience fait l’objet d’une série documentaire produite par Machine Gum et diffusée sur les ondes d’UNIS TV cet automne, dans le cadre du 150e anniversaire de la Confédération. Ma vie
made in Canada se décline en quatre épisodes, un pour chaque saison, afin d’«aborder les défis propres à chacune d’entre elles».
La caméra le suit dans son appartement, dans les transports en commun, à l’épicerie et dans les magasins, où il est accompagné de spécialistes qui l’aident à gagner son pari, en lui expliquant notamment les subtilités entre un «produit du Canada» et un «produit fait au Canada».
Mais il ne partait pas de zéro, ayant cette volonté de consommer de façon responsable depuis des années. « Comme plusieurs, je veux consommer local, pour des raisons économiques, sociales et environnementales. Ça, c’est très important pour moi. Je suis aussi curieux de voir ce qu’on fabrique encore au pays», confie devant la caméra l’homme de 38 ans.
Sa curiosité aura été satisfaite pendant 375 jours, durant lesquels il a dû trouver des solutions pour ses meubles, ses électroménagers, sa nourriture, ses vêtements, ses appareils électriques. En faisant l’inventaire de son appartement, il a constaté que peu de choses provenaient du Canada. «J’ai quand même eu quelques bonnes surprises qui m’ont permis de ne pas arriver les mains vides à Toronto », indique-t-il, faisant référence à des objets qui datent de plus d’une vingtaine d’années, venant surtout de ses parents.
Il a justement été nécessaire de faire un bond dans le temps pour trouver des électroménagers «made in Canada», et arpenter les magasins proposant des appareils d’occasion encore fonctionnels. «Ça a l’avantage d’être moins cher.»
Le discours«Les vêtements, change on quanden faitil s’agitici, maisde s’habiller. c’est pas mal plus cher. C’est un des items où il y a une plus grande différence [de prix].» Il a par contre été surpris de ses trouvailles canadiennes dans les magasins Walmart, Canadian Tire et Rona de ce monde. «On fait beaucoup de choses en plastique: poubelle, bacs, bottes de pluie, […] au même prix que des produits faits en Chine. » Il a aussi vite trouvé des produits nettoyants et d’hygiène personnelle d’ici,
«souvent plus écologiques».
Se nourrir de produits locaux n’a pas toujours été facile. Il reconnaît même « s’être tanné» à la longue de devoir chercher et décoder les étiquettes pour trouver la provenance des aliments. «On a un problème avec l’étiquetage. Ce n’est pas clair. On nous dit que c’est fait par telle compagnie, mais est-ce vraiment fait à l’endroit indiqué?» Composer des menus culinaires variés a été assez laborieux une fois arrivé l’hiver.
«On ne sait jamais sur quoi on va tomber
[à l’épicerie]. Certaines semaines je ne trouvais pas grand-chose», reconnaît-il, s’étant trouvé limité dans son choix lorsqu’il souhaitait manger essentiellement local en suivant le rythme des saisons.
Se priver de certains produits alimentaires qu’il avait l’habitude de consommer au quotidien a aussi été plus difficile qu’il ne le pensait. Notamment pour le café, sur lequel il s’est jeté le 22 juin 2017, premier jour de la fin de son défi. «Le beurre d’arachides sur mes rôties et le café, c’est ce qui me manquait le plus dans ma routine matinale.»
Il avoue même, non sans un petit rire gêné, avoir triché une fois, une seule, pendant l’année. «À Noël, je me suis permis de boire un café. Je me suis dit: c’est Noël, je veux faire comme dans le bon vieux temps où on pouvait avoir des choses exotiques. Mais pour le reste, j’ai tenu bon.»
100% canadien… ou presque
Un défi de taille donc, en partie relevé. «Le plus difficile à trouver, ce sont les petits appareils électriques: grille-pain, fer à repasser, séchoir, four à micro-ondes, qui sont fabriqués en Asie. Ils ont disparu de ma vie», indique-t-il.
Il a dû aussi se résoudre à faire une petite liste d’exceptions: des objets qui ne sont pas fabriqués au Canada, et qui sont pourtant essentiels, dont des ampoules, des ciseaux, des cotons-tiges, un peigne, et bien sûr son téléphone et son ordinateur, indispensables à son travail. Sa quête ultime? « Trouver une brosse à dents en plastique faite au pays. Je ne pensais jamais y arriver, mais à un mois de la fin, une dame qui me suivait sur les réseaux sociaux m’a dit qu’elle en avait trouvé une faite à Mississauga», raconte-t-il.
«Vivre 100% made in Canada, ce n’est pas tout à fait possible. Je me suis rendu pas loin du 100%, mais c’est quand même pas possible. Et ce n’est pas nécessairement souhaitable non plus», admet-il.
Selon lui, les producteurs locaux, surtout dans le domaine alimentaire, dépendent énormément de l’exportation pour survivre et ne pas mettre la clé sous la porte.
Frédéric Choinière encourage toutefois les Canadiens à tenter l’expérience, rien que pour découvrir la variété de choses fabriquées à travers le pays et aller à la rencontre des artisans, commerçants et entrepreneurs.
Le défi terminé, le journaliste a gardé ses nouvelles habitudes, excepté pour le café. «Ma philosophie maintenant, c’est de me dire: je vais acheter moins, consommer moins fréquemment, mais investir dans des produits bien faits, de manière éthique et responsable, et qui vont durer longtemps. Je pense qu’il faut surtout avoir une réflexion sur la qualité des biens qu’on achète, plutôt que s’attacher au prix.»