Changer le monde, un mot à la fois
« La littératie, c’est le pouvoir. » 25 ans après avoir cofondé le programme Étudiantes et étudiants alphabétisateurs du collège Frontière, Stéphanie Miller en est encore aussi convaincue.
Étudiante à l’Université McGill en 1992, Stéphanie Miller voulait changer le monde. Et elle n’était pas la seule. «Je me rendais compte qu’il y avait beaucoup d’étudiants qui avaient envie comme moi d’avoir un impact positif dans leur communauté », raconte celle qui est aujourd’hui directrice générale de la fondation Trust for Learning, qui cherche à rendre l’apprentissage idéal pour tous les enfants. Mme Miller déniche alors à l’époque une subvention et recrute les premiers étudiants bénévoles. Depuis, ce programme de tutorat du collège Frontière se répand comme une traînée de poudre dans les universités, formant environ 2500 étudiants bénévoles par année à travers le Canada. Bon an mal an, ces jeunes tuteurs aident entre 20 000 et 25 000 personnes à améliorer leurs habiletés de lecture et d’écriture.
«Si on multiplie ces chiffres par 25 ans, ça fait beaucoup de monde ! », se réjouit Mélanie Valcin, gestionnaire du Québec et des programmes francophones du collège Frontière. « On est chanceux de pouvoir compter sur autant de jeunes
qui croient en la cause et qui, malgré leurs horaires chargés, donnent de leur temps à un autre individu qui a besoin d’un coup de main pour développer ses compétences. » Car même si on les voit peu, les besoins sont grands.
«L’analphabétisme est un enjeu invisible, affirme Mme Valcin. Les gens ne sont pas conscients de l’ampleur du problème. » Pourtant, pas moins de la moitié des Québécois de 16 à 65 ans éprouvent des difficultés de lecture, selon l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes (EIACA).
« On est à Montréal depuis 25 ans, mais un de nos défis encore aujourd’hui est de briser le silence et d’encourager les gens à venir chercher de l’aide», fait valoir Alexandre Michaud, coordonnateur communautaire au collège Frontière. Plusieurs analphabètes souffrent de stigmatisation et de perte de confiance en eux et en leur capacité d’apprentissage. Les jeunes tuteurs du programme offrent donc un soutien personnalisé par des activités comme du tutorat individuel en alphabétisation et en francisation à des enfants, adultes ou des familles immigrantes ou réfugiées, de l’aide aux devoirs, ou encore des cercles de lecture auprès de jeunes issus de milieux défavorisés. Aller là où les autres ne vont pas «En recrutant des étudiants bénévoles, ce programme est
une sorte de répétition de l’histoire de la fondation du collège
Frontière », souligne Mme Valcin. Fondé en 1899 par l’enseignant et révérend Alfred Fitzpatrick, le collège Frontière amorce ses activités en envoyant des jeunes travailler et enseigner dans des camps de bûcherons, des mines et sur les chantiers de chemins de fer. Les ouvriers-enseignants travaillent donc avec les autres ouvriers le jour et leur apprennent à lire et à écrire le soir. «Depuis toujours, le collège Frontière va là où les autres ne vont pas, explique Mélanie Valcin. On est là pour soutenir les gens qui n’ont pas nécessairement accès aux institutions plus formelles d’éducation, ou qui préfèrent commencer par travailler avec un tuteur ou une tutrice pour reprendre confiance en eux au sujet de l’apprentissage», explique Mélanie Valcin.
«Si tu ne sais pas lire, tu ne peux pas trouver les outils pour rester en santé, trouver un emploi, persévérer à l’école et sortir du cercle vicieux de la pauvreté, fait pour sa part valoir Stéphanie Miller. La littératie est à la base de tout.»
La cofondatrice du programme a pu le constater plus d’une fois. Elle témoigne alors de ces mères de famille défavorisées qu’elle a vues améliorer leur vie et celle de leur famille, en surmontant d’abord leurs difficultés de lecture et d’écriture. Elle raconte ensuite l’histoire d’un jeune adulte de