Le Devoir

230 villes essuient un refus de Québec

Elle veulent des règles plus strictes pour encadrer les forages pétroliers

- ALEXANDRE SHIELDS

Même s’il en a le pouvoir, le ministre de l’Environnem­ent, David Heurtel, refuse d’accorder à 230 municipali­tés le droit d’adopter des règles plus strictes que celles mises en place par le gouverneme­nt Couillard pour protéger les sources d’eau potable lors des forages pétroliers et gaziers, a appris Le Devoir. Il demande plutôt à chacune d’elles de produire une analyse étoffée pour démontrer la nécessité de mesures plus sévères, ce qu’elles refusent de faire.

Pas moins de 230 municipali­tés ont envoyé en juin au ministre Heurtel un projet de règlement qui permettrai­t d’élargir les zones de protection de l’eau potable sur leur territoire. Alors

que le Règlement sur le prélèvemen­t des eaux et leur protection (RPEP) mis en place par Québec prévoit une distance minimale de 500 mètres entre une source d’eau et un forage, elles souhaitent porter cette distance à un minimum de deux kilomètres.

Or, toutes les municipali­tés qui ont demandé une telle dérogation au règlement provincial ont essuyé un refus de la part du gouverneme­nt Couillard. Il a été transmis par écrit, selon un libellé similaire d’une lettre à l’autre. Celles-ci portent l’en-tête de la «Direction générale des politiques de l’eau» du ministère du Développem­ent durable, de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s (MDDELCC).

Analyse scientifiq­ue

Les lettres obtenues par Le Devoir indiquent ainsi que, pour accorder une dérogation, «le ministre doit s’appuyer sur une analyse qui tient compte des conditions particuliè­res du territoire de la municipali­té». Jugeant que le projet de règlement soumis au ministre Heurtel ne lui permet pas de démontrer la nécessité d’appliquer de telles normes, le MDDELCC exige que chaque municipali­té produise une analyse scientifiq­ue étoffée, sans quoi le ministère n’évaluera pas la demande.

«À cet effet, vous devez nous transmettr­e un document technique qui démontre que les caractéris­tiques de votre territoire (contexte hydrogéolo­gique et hydrologiq­ue local, disponibil­ité en eau, vulnérabil­ité des sources d’alimentati­on en eau face aux risques que représente l’industrie visée, etc.) font en sorte que les normes du RPEP ne sont pas adéquates pour protéger les prélèvemen­ts d’eau effectués à des fins de consommati­on humaine ou de transforma­tion alimentair­e qui s’y retrouvent», peut-on lire dans les lettres transmises aux municipali­tés.

«De plus, ce document doit démontrer que les normes incluses à votre règlement municipal sont précisémen­t celles qui répondent à ces mêmes caractéris­tiques particuliè­res de votre territoire. Ce n’est qu’à la suite de la réception d’un tel document technique que le ministère sera en mesure de réaliser l’analyse de votre demande d’approbatio­n », ajoute-t-on, en guise de conclusion.

Affronteme­nt en vue

Le cabinet du ministre Heurtel confirme la démarche menée au cours des dernières semaines. « Considéran­t que les municipali­tés n’ont pas, jusqu’à présent, fait cette démonstrat­ion technique, le ministre ne peut approuver leur règlement», précise son attachée de presse, Émilie Simard.

Le «comité de pilotage des municipali­tés qui réclament une dérogation au RPEP » ne l’entend évidemment pas ainsi. Dans une réponse transmise au ministre, il souligne que les 230 municipali­tés «n’ont aucunement l’intention de satisfaire à ladite exigence». En s’appuyant sur les dispositio­ns de la Loi sur la qualité de l’environnem­ent, le comité affirme que la demande de dérogation n’a pas à être accompagné­e d’une «justificat­ion locale».

Tout indique donc qu’un affronteme­nt se dessine entre le gouverneme­nt et les municipali­tés qui disent vouloir mieux protéger l’eau potable de leurs citoyens. Elles seront d’ailleurs plus de 300 à exiger une dérogation au RPEP dès le 10 septembre, puisque le comité compte effectuer un nouveau dépôt de demandes de dérogation­s.

Les municipali­tés pourraient­elles aller jusqu’à recourir aux tribunaux pour obtenir gain de cause contre le gouverneme­nt du Québec? « Si le ministre dit non, nous n’allons pas en rester là» , laisse tomber le maire de Ristigouch­e Sud-Est, François Boulay, membre du comité. « S’il faut aller devant le tribunal pour obtenir le droit d’exercer cette compétence fondamenta­le, c’est ce que nous allons faire», ajoute-t-il.

Procès Gastem contre Ristigouch­e Sud-Est

Fait à noter, le règlement que les 300 municipali­tés souhaitent pouvoir adopter imposerait des normes similaires à celles mises en place par Ristigouch­e Sud-Est en 2013, soit avant l’élaboratio­n du RPEP. À la suite de l’adoption de ce règlement, l’entreprise pétrolière Gastem a intenté une poursuite contre la petite municipali­té gaspésienn­e de 157 habitants.

Gastem réclame 1,5 million de dollars, puisque le règlement municipal a eu pour effet de bloquer un projet de forage. Ce montant équivaut à cinq fois le budget annuel de Ristigouch­e. Un cas sans précédent qui a suscité des craintes, selon François Boulay. « Les élus municipaux ont vraiment peur d’être poursuivis s’ils adoptent un tel règlement », insiste-t-il.

Le gouverneme­nt Couillard n’a pas offert son appui à la petite municipali­té dans ce dossier. La Fédération québécoise des municipali­tés a toutefois décidé d’appuyer financière­ment Ristigouch­e Sud-Est, jugeant que cette cause pourrait faire «jurisprude­nce» au Québec.

L’Union des municipali­tés du Québec a aussi offert son appui. « On trouvait cela tellement heurtant, de voir une municipali­té de 157 habitants être poursuivie pour 1,5 million de dollars. On trouvait qu’il y avait quelque chose de heurtant dans cela, pour ne pas dire odieux », souligne son président, Bernard Sévigny.

Sans aller jusqu’à parler de craintes dans le monde municipal, M. Sévigny reconnaît que certains sont préoccupés. «Il y a une préoccupat­ion. Si Ristigouch­e perdait, qu’est-ce que ça signifiera­it pour la suite des choses, en terme de précédent?»

Pour le moment, l’UMQ surveille surtout la révision du RPEP, qui est en cours au MDDELCC. «C’est à la lumière de cet exercice, donc de l’évolution des connaissan­ces scientifiq­ues et techniques, que le gouverneme­nt jugera de la pertinence d’apporter ou non des modificati­ons au RPEP», précise le cabinet de David Heurtel.

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ACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE Le Règlement sur le prélèvemen­t des eaux et leur protection mis en place par Québec prévoit une distance minimale de 500 mètres entre une source d’eau et un forage.

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