Le Devoir

Une stratégie nationale s’impose

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L’alphabétis­ation est une priorité pour le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx. Cet enjeu crucial pour l’avenir du Québec devrait interpelle­r la société dans son ensemble.

L’alphabétis­ation est l’un des piliers de la politique sur la réussite éducative annoncée en juin dernier par le ministre Proulx. C’est en soi un pas dans la bonne direction, mais le déficit de littératie des Québécois exige d’aborder le problème en dehors de l’école. En dépit des efforts du ministre Proulx, l’alphabétis­ation ne figure pas parmi les priorités du gouverneme­nt. À preuve, il est difficile d’obtenir des données et des informatio­ns sur le phénomène, ce qui n’est pas sans étonner le ministre de l’Éducation. L’octroi d’une enveloppe récurrente de 20 millions, pour soutenir les organismes communauta­ires, les employeurs et les commission­s scolaires qui luttent contre l’analphabét­isme, est intéressan­t. Mais à défaut d’une vision cohérente et globale des interventi­ons nécessaire­s pour faire reculer l’analphabét­isme, cette initiative gouverneme­ntale aura l’effet d’une poignée de sel dans un verre d’eau.

M. Proulx a mis l’accent sur la littératie et la numératie des enfants dans sa politique, en qualifiant ces deux compétence­s de « fondations sur lesquelles une personne peut construire son avenir ». Dès lors, il préconise des interventi­ons précoces, telle la maternelle 4 ans, afin de stimuler l’appétit des enfants pour l’abc si essentiel à leur épanouisse­ment. « L’analphabét­isme nous prive du potentiel d’un trop grand nombre de personnes sans lesquelles le développem­ent social, économique et culturel du Québec ne peut se réaliser pleinement», écrit-il.

Personne ne doute de la pertinence de ces initiative­s. Les compétence­s en littératie constituen­t un gage d’autonomie dans la vie de tous les jours, à l’école et au travail. Elles sont un préalable à la participat­ion citoyenne. Dans les sociétés du savoir, il est utopique d’atteindre le plein épanouisse­ment sans savoir lire et écrire. L’éveil hâtif à la lecture et à l’écriture, dans les services de garde et à l’école, va de soi. Il s’agit cependant d’une composante parmi tant d’autres d’une stratégie de lutte contre l’analphabét­isme. En d’autres mots, l’école est un bon point de départ pour endiguer ce mal persistant, mais ce n’est certaineme­nt pas le point d’arrivée.

Même incomplète­s, les statistiqu­es sur l’analphabét­isme au Québec donnent froid dans le dos. Moins d’un adulte sur deux présentait un niveau de compétence élevé en littératie, selon les données de la dernière enquête internatio­nale, datant de 20112012. Quelque 800 000 Québécois viennent gonfler les rangs des analphabèt­es. Le tout dans une société qui dépense des sommes colossales en éducation.

Une société ne peut atteindre son plein potentiel si une personne sur deux est exclue, constatait récemment dans nos pages Line Camerlain, vice-présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). «Le problème de l’analphabét­isme au Québec dépasse largement le ministère de l’Éducation», disait-elle, en appelant dans un même élan à l’adoption d’une stratégie nationale de lutte contre l’analphabét­isme. C’est la voie à suivre. Malgré toute sa bonne volonté, le ministre de l’Éducation ne peut porter à lui seul la lourde responsabi­lité de sortir le Québec de cette forme nouvelle de noirceur.

Les principale­s causes de l’analphabét­isme sont connues. La Fondation pour l’alphabétis­ation en a listé cinq: faible scolarisat­ion des parents, absence de livres à la maison (et manque de stimulatio­n quant à l’importance de la lecture), échec et décrochage scolaire, pauvreté, troubles d’apprentiss­age.

Les systèmes scolaire et préscolair­e peuvent agir sur la plupart de ces variables, mais qu’en est-il de la pauvreté? Ou encore des difficulté­s que les parents analphabèt­es rencontren­t dans l’accompagne­ment de leurs enfants à l’école ? Et comment intégrer au marché du travail des citoyens qui ne sont pas capables de lire, ni même de rédiger un courriel?

La lutte contre l’analphabét­isme doit interpelle­r le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, François Blais, qui s’apprête justement à lancer un troisième plan de lutte contre la pauvreté cet automne. Les employeurs, les syndicats, les organismes communauta­ires qui viennent en aide aux clientèles à risque doivent être réunis autour d’une cause commune. Faire reculer l’analphabét­isme, c’est faire progresser l’inclusion sociale.

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BRIAN MYLES

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