Le Devoir

Se loger, le premier défi des réfugiés

En plus de se heurter aux préjugés, les migrants doivent s’initier aux façons de faire d’ici

- LISA-MARIE GERVAIS

Une nuit. C’est le temps qu’a passé Israël Delinx dans son nouveau logis, à Anjou, avant de se faire mettre littéralem­ent dehors. Au petit matin, le propriétai­re l’a sommé de partir, lui redonnant le 650 $ payé en argent comptant pour son trois et demi. Il a à peine eu le temps de prendre sa valise. Pourquoi? Même après un mois, il ne le sait toujours pas. « Tout ce que Dieu fait, il a ses raisons», lance ce demandeur d’asile haïtien, arrivé il y a un mois par le chemin Roxham, près de Lacolle.

N’empêche. Pour tous ceux qui sont arrivés comme lui cet été, trouver un toit demeure le principal défi. «C’est ce qui est le plus difficile

pour nous. Parce qu’on ne connaît personne ici », explique le jeune trentenair­e, qui a vécu au Brésil avant d’arriver au Québec par les États-Unis. « Et personne ne nous connaît. »

C’est aussi parce que personne ne le connaissai­t que Célestin (nom fictif) a eu du mal à trouver un logis pour sa petite famille. « Quand vous appelez et que vous n’avez pas l’accent québécois, on vous refuse la maison ou on vous augmente le prix », laisse tomber ce père de famille.

Ces histoires, Zina Laadj, intervenan­te sociale pour l’organisme La Maisonnée, en entend tous les jours. Trouver un logement — qui permet l’accès à l’aide financière, à l’école pour les enfants, au permis de travail — est un parcours du combattant pour les demandeurs d’asile. « Mais pas seulement pour eux. Tout nouvel arrivant, qu’il soit travailleu­r qualifié, réfugié accepté ou visiteur, vit cette difficulté-là», constate-t-elle.

Cours logement 101

Ce qui apparaît comme un détail pour les habitués est une montagne pour les nouveaux arrivants, qui ont tout à apprendre de leur nouvel environnem­ent. «Ils sont complèteme­nt perdus par fois », remarque Zina Laadj, qui aide des migrants dans leur recherche de logement en plus de donner des séances de formation directemen­t dans les centres d’hébergemen­t. À commencer par la typologie, puisqu’un «trois et demi » ne signifie pas que le loyer sera de 350 $, comme le croyait un Haïtien rencontré, qui cherchait un toit pour sa famille. «Leurs difficulté­s sont souvent des choses de base comme: comment on utilise le métro, comment sont numérotées les maisons. Nous, on tient ça pour acquis, mais c’est nouveau pour eux», indique pour sa part Hamsa Assi, directrice du Carrefour d’aide aux nouveaux arrivants.

Quelles questions poser? Que doit contenir le bail? À quoi porter attention quand on visite un logement ? Les demandeurs d’asile reçoivent pour ainsi dire un cours de logement 101. «On les informe surtout sur toute la question de l’identité et des renseignem­ents, souvent confidenti­els et personnels, que les propriétai­res leur demandent », explique Zina Laadj. « On leur explique de s’en tenir aux nom, prénom, téléphone et pièce d’identité, et qu’il ne faut pas donner le numéro d’assurance sociale.» Et surtout, pas de dépôt. « Des gens m’ont raconté qu’on leur avait demandé 100-200$ d’avance, sans reçu ni rien.»

Bien outillés, les futurs locataires peuvent alors se débrouille­r. « On ne fait pas d’accompagne­ment, mais on leur recommande d’y aller avec un ami, une personne qui fréquente le même lieu de culte. Ce n’est pas un endosseur, mais au moins ça leur fait un témoin et ça donne confiance aux propriétai­res.»

Défi pour les Haïtiens

Ayant quitté subitement les États-Unis à la suite des déclaratio­ns hostiles du président Trump, les Haïtiens qui sont arrivés cet été n’ont pas été parrainés. Ils sont davantage démunis, constate Zina Laadj. «Ils ont une panique. Je les ai sentis très… dans l’urgence. Ils veulent aller très vite», souligne-t-elle. «Ça ne les aide pas dans leur recherche de logement. On leur dit de prendre le temps d’en visiter plusieurs, de ne pas sauter sur le premier appartemen­t qu’ils visitent. Mais on a l’impression qu’ils sont pressés et méfiants.»

Même si beaucoup d’Haïtiens parlent français, certains, moins scolarisés, ne parlent que le créole et d’autres n’ont que l’anglais en tête. «La façon de parler est différente et, au téléphone, on ne comprend pas toujours bien ce qui se dit. Le défi de la communicat­ion semble très spécifique à cette communauté», croit Zina Laadj.

Pour les personnes seules, le plus grand problème, c’est le coût d’un logement. Les quelque 600$ que reçoit une personne seule en aide financière passent presque entièremen­t dans le loyer. Elle doit nécessaire­ment partager un espace.

Quant aux familles, le défi est de prendre le temps de faire les visites. Avec des enfants en bas âge, ce n’est pas évident, ajoute l’intervenan­te sociale. « Le déplacemen­t est aussi une difficulté pour cette communauté. Ils ont l’habitude d’être en taxi, ce qui leur coûte cher. Ils n’ont pas le réflexe des transports en commun.»

Célestin, lui, a préféré marcher et arpenter les rues de la ville en quête d’une pancarte à louer. Grâce aux conseils d’un ami, il a trouvé où loger, dans un demi-sous-sol dans l’est de Montréal. «Par un heureux hasard, la maison appartient à une Haïtienne », dit-il, comme soulagé. Quant à Israël Delinx, après sa mésaventur­e, il est retourné vivre au YMCA, là où il était temporaire­ment hébergé. Avec l’aide d’un pasteur, il a continué ses recherches avant d’enfin trouver un logis à Montréal-Nord. Depuis près d’un mois, il vit toutefois chez un ami, en attendant que les travaux dans son logement soient finis. « Petit à petit, on va finir par aboutir. »

«Des gens m’ont raconté qu’on leur avait demandé 100-200$ d’avance, sans reçu ni rien» Zina Laadj

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Ozier Elissance et son fils Bladimi accueillen­t temporaire­ment un ami du père, en attendant que son propre logement soit prêt.

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