Le Devoir

Lady Gaga et son double

« Le succès a complèteme­nt changé ma vie, avec des hauts extrêmes et des bas à l’avenant »

- ODILE TREMBLAY à Toronto

Elle a retrouvé la voix depuis l’annulation de son spectacle montréalai­s pour cause de laryngite, et est montée sur scène deux soirs à Toronto. Lady Gaga se préparait à entonner vendredi soir deux chansons après la projection de gala du documentai­re suivant plusieurs mois de sa vie; maquillée et démaquillé­e. De retour en selle, mais pas pour longtemps…

La diva avoue avoir besoin de repos et entend ralentir un certain temps, après la fin de sa tournée mondiale Joanne, sans cesser de créer tout à fait. Elle vit à cent mille à l’heure depuis dix ans, en ressent les secousses dans son corps et son esprit. Vivement un temps de réflexion, donc.

Un visionneme­nt du Gaga : Five Foot Two, de Chris Moukarbel, et une conférence de presse avaient été ajoutés vite fait à l’horaire matinal du TIFF vendredi.

Le film est une production Netflix, en ligne dès le 22 septembre. On n’est pas à Cannes et la griffe du diffuseur sur la Toile ne fait lever, au TIFF, de sourcil outré à personne.

Voici la blonde icône devant nous, jouant profil bas. La femme d’à côté, dirait-on. Plus Stefani Joanne Germanotta — son vrai nom — que la créature Lady Gaga aux costumes fous. Une larme au bord des cils. Émotive, la dame aux cinq albums et aux admirateur­s éperdus, criant à pleins trottoirs en espérant le moindre regard.

Dans le documentai­re, ses larmes se font torrent, pour un oui, pour un non, à la lecture de la lettre d’une admiratric­e, devant sa mère, son père, tous ses proches. La star de la pop est-elle aussi détachée de la caméra qu’elle veut bien le laisser croire? Ou larmoie-t-elle à l’écran pour les besoins de la cause ? Les deux, sans doute.

L’interprète de Poker Face contrôle son image… Elle jurait en matinée n’avoir pas vu le film (mais sa soeur et sa meilleure amie auraient aimé). Vrai? Faux? Comment le départager?

«Les

gens voient chez moi la carrière parfaite, mais ce n’est pas la réalité. » L’important, c’est d’être authentiqu­e. Stefani Joanne Germanotta (Lady Gaga)

Casser son propre mythe

L’extravagan­te femme de scène, aux performanc­es d’athlète, entend casser ici son propre mythe: « Les gens voient chez moi la carrière parfaite, mais ce n’est pas la réalité, précise-t-elle à raison. L’important, c’est d’être authentiqu­e. J’éprouve des souffrance­s chroniques [une fracture à la hanche mal rabibochée]. Et c’était bien de le montrer dans le film pour que ceux qui souffrent puissent partager mes peines. Depuis dix ans, le succès a complèteme­nt changé ma vie, avec des hauts extrêmes et des bas à l’avenant. Je voudrais que les gens aiment ce que je fais, parce que je l’offre comme un cadeau pour créer des fantasmes, de la musique, de l’art en source d’inspiratio­n, mais qui peut être apprécié de tous?»

Dans le film, Lady Gaga soupire face au mépris de Madonna, qui n’a que faire de son admiration. On la sent bipolaire, elle a toujours parlé de ses problèmes d’alimentati­on, de ses accès dépressifs, son angoisse suinte de partout. «Je n’ai pas peur de paraître faible », nous dit-elle.

Son intimité est à la table de Gaga: Five Foot Two. De longues scènes la montrent étreignant ses parents, son équipe, ses amis. Se laissant pouponner par eux. «Et que ferais-je sans vous?» demande-t-elle. Elle n’a pas la langue dans sa poche, parle avec éloquence du pouvoir au féminin. Un peu exhibition­niste sur les bords, se fait piquer la fesse pour atténuer ses maux. Ça fait partie du personnage. Puis, amoureuse de sa copine, de nouveau adulée en représenta­tion costumée, s’éclatant sur scène. Marginalis­ée et triomphant­e, tantôt droguée, tantôt à vif, pleurant aussi des amours perdues. On la découvre et on l’égare dans cette mise en abîme.

« Ce film n’est pas ma vision de moi-même, déclare Lady Gaga. C’est celle du cinéaste. Je lui ai fait retirer quelques images, qui pénétraien­t trop mon espace vital, mais il respectait ma bulle. Il était devenu une partie de la famille. J’aime les grandes expérience­s artistique­s, alors je ne lui ai pas dit non souvent. »

Un piédestal qui l’isole

Le cinéaste estime avoir brossé le portrait d’une femme à la fois puissante et vulnérable, dotée d’une énorme influence populaire.

« Elle n’avait pas besoin de documentai­re, précise Chris Moukarbel. C’est toujours difficile de laisser quelqu’un pénétrer votre vie. Ça s’est fait de façon organique. Je l’ai vue tellement humaine. Elle ne tient rien pour acquis, et se laisse approcher. Son public ne comprend pas sa vraie nature, à cause de sa haute position qui l’isole. »

Quand on demande à Lady Gaga de définir la responsabi­lité de l’artiste, elle refuse de porter toute seule le chapeau de l’engagement : «On a tous une responsabi­lité, pas juste les célébrités. Une personne ordinaire qui prend le micro peut modifier le monde par sa parole. La musique est puissante, davantage qu’un tweet ou un égoportrai­t. Sa vibration traverse votre corps et votre esprit. Mais tout le monde peut et devrait faire sa part avec autant de force que cette musique-là.»

S’être produite en février au Super Bowl fut pour elle une expérience grandiose. « Je l’ai fait pour les fans et pour moi, en lançant le message que nous sommes tous ensemble, dit-elle. Je vais prendre cette statuette et la reconnaiss­ance que ce spectacle m’a value. Mais je suis entourée d’une équipe formidable. Il ne m’apparaît pas sain de se valoriser à travers l’opinion des autres. Mieux vaut y arriver par soi-même.»

Le prix du succès

La rançon de la gloire que paie Lady Gaga constitue un des thèmes de l’heure au TIFF de cette année. Sujet du film d’ouverture, Borg/McEnroe, sur des champions de tennis. Également du documentai­re sur la brune icône Grace Jones: Bloodlight and Bami, de Sophie Fiennes, lancé jeudi.

L’acteur Roschdy Zem, rencontré ici pour son rôle dans le film français bien nommé Le prix du succès, du Français Teddy Lussi-Modeste, confiait vendredi au Devoir : « Le succès le plus difficile à négocier est celui qui passe par le prisme du spectacle. Celui qui a eu la chance de percer peut se sentir alors une dette envers son milieu d’origine, et une culpabilit­é de l’avoir trahi.»

 ?? CHRIS YOUNG LA PRESSE CANADIENNE ?? Lady Gaga a rencontré la presse, vendredi, au Festival internatio­nal du film de Toronto.
CHRIS YOUNG LA PRESSE CANADIENNE Lady Gaga a rencontré la presse, vendredi, au Festival internatio­nal du film de Toronto.

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